Comme prévu, le projet de décret de M. Peillon sur le changement des rythmes scolaires a été recalé par le Conseil Supérieur de l’Éducation. Rejet massif d'ailleurs, que même M. Darcos en son temps n'avait pas connu.
Il est prévisible que ce même décret paraîtra tout de même rapidement au Journal Officiel, M. Peillon pouvant difficilement -hélas- tout remettre sur la table. D'autant que l'Association des Maires de France (AMF) a voté pour, ce qui est un comble quand on connaît l'argument utilisé: "l'échec scolaire coûte beaucoup trop cher à la société", a effectivement expliqué son vice-président Pierre-Alain Roiron. Si M. Roiron pense que les changements apportés résoudront l'échec scolaire, je crains qu'il ne se prépare que de fortes désillusions.
Car en fait, que reprochent à ce projet ceux qui ont voté contre? La même chose que moi: c'est trop, ou trop peu. Rejetons l'argument du "trop", qui ne tient pas, et conservons plutôt celui du "trop peu". Effectivement, je l'ai écrit dans mon précédent billet, le ministre ne va pas assez loin, et la réduction attendue de la durée de la journée d'école est si sommaire qu'elle n'aura clairement aucune incidence sur la réussite de nos élèves.
Et puis, surtout, que cette réforme est mal ficelée! Qu'il ait fallu mobiliser tant de monde, pendant tant de temps, pour aboutir à ce texte incomplet et obscur est relativement fascinant. Que ce soit un gouvernement "de gauche" qui le ponde est encore plus ébarnoufflant!
Car enfin, quel sera son impact immédiat? Pour les communes qui le mettront en œuvre, cela coûtera cher... Très cher. Pour quel retour? Il faudra bousculer le système, mis en place depuis de longues années, de Centre aéré le mercredi, avec les implications logiques que cela représente pour l'emploi des personnes qui s'en occupaient. Ces personnels seront-ils disponibles pour gérer les activités de fin d'après-midi? Il faudra certainement embaucher. Mais qui? Dans quelles conditions? Il faudra peut-être ajouter un temps de restauration scolaire le mercredi midi. Il faudra chauffer, éclairer, nettoyer les écoles le mercredi matin. Il faudra mobiliser les personnels municipaux qui accompagnent les enseignants, comme les ATSEM.
Il y aura également un fort impact pour les associations de jeunesse ou les clubs sportifs qui avaient pris leurs habitudes le mercredi: les enfants ne seront plus disponibles, certains lieux ou locaux municipaux partagés avec les écoles non plus.
Et pour les enseignants? Ceux-ci devront se déplacer une journée de plus, avec les frais que cela représente: frais de garde -plus de 80% des enseignants sont des femmes, et beaucoup sont jeunes- et frais de déplacement à une époque ou le litre d'essence vaut son pesant d'or, alors que la plupart des enseignants habitent loin de leur lieu de travail. Ces frais sont totalement passés sous silence par le ministre, qui a préféré ne pas évoquer du tout les enseignants ou les directeurs d'école dans son projet de décret.
Une incidence qui n'est évoquée par personne est celle de la gestion des services de l'Education nationale. Tenez, évoquons par exemple les enseignants qui travaillent à mi-temps -et ils sont nombreux, beaucoup de jeunes mères veulent, et je les en félicite, s'occuper de leur progéniture le plus possible-. Jusqu'à présent la semaine pouvait être facilement partagée deux jours/deux jours entre deux professeurs des écoles. Qu'en sera-t-il le mercredi? Un sur deux pour l'un, un sur deux pour l'autre? Les remplacements aussi vont se compliquer. J'embrasse d'avance les secrétaires des inspections en charge de la question...
La direction d'école? Parlons-en. Un certain nombre de directeurs ont une demi-décharge, c'est à dire qu'ils sont comme les enseignants à mi-temps deux jours dans leur classe et deux jours dans leur bureau (ce n'est pas la panacée mais bon...). Leur faudra-t-il également travailler un mercredi sur deux? Je sens pointer de grosses difficultés de gestion et d'organisation du travail au sein des écoles. Et comme d'habitude ce sera aux directeurs d'école de se débrouiller. Une charge de plus, joie!
Une autre chose n'a pas été précisée par le ministre: si la journée des élèves diminue -peu-, leur temps de classe reste de 24 heures, et le temps de travail des enseignants ne bouge pas. Ce temps hors élèves représente 3 heures pas semaine, 108 heures dans l'année, et était jusqu'à présent réparti entre cette abomination d'Aide Personnalisée, temps de formation (animations dites "pédagogiques", ah ah ah) et réunions diverses (Conseils d'école, de maîtres, de cycles...). Qu'en sera-t-il désormais? Car si les réunions se faisaient surtout en soirée, la teneur de l'APC qui remplace l'AP est à la merci des DASEN et des IEN (reportez-vous à mon billet précédent pour le bonheur des sigles de ce ministère) qui semblent pour l'instant fort dubitatifs face à l'absence totale de précision du texte de M. Peillon, et les animations pédagogiques avaient lieu le mercredi matin. Ces temps de formation devront-ils être exercés le mercredi après-midi? Quel bonheur, je m'en réjouis d'avance.
Une chose est sûre: l'intérêt des écoles passera en dernier. Je réclame à cor et à cri depuis longtemps une indépendance affirmée des écoles quant à leurs choix et projets pédagogiques, le ministre avec ce décret nous en éloigne à grands pas. D'autant que les décisions qui doivent rapidement être prises le seront soit par les municipalités (on peut garder l'espoir que certaines d'entre elles demanderont l'avis des enseignants qui exercent dans leur commune, ce qui n'est d'ores et déjà pas le cas dans les "grandes" villes) soit par l'administration de l’Éducation nationale. Et il est fort à craindre que nous autres directeurs et directrices d'école nous retrouverons avec moult nouveaux jolis tableaux à remplir, émanations énergivores et chronophages d'une administration bureaucratisée à l'extrême, afin de préciser pour notre hiérarchie qui fait quoi quand comment, sans oublier bien sûr compte-rendus et autres procès-verbaux. Les directeurs d'école qui ne touchent déjà plus terre finiront certainement par s'envoler avec la paperasse.
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