samedi 5 janvier 2013

Rythmes scolaires, désastre annoncé...


Ainsi donc le ministère a rendu sa copie sur la première partie de la "refondation" de l'école, en remettant aux syndicats pendant les vacances de Noël son projet de décret sur les rythmes scolaires.

Ce texte sera sera soumis au Conseil supérieur de l'éducation (CSE) le mardi 8 janvier.

Autant dire tout de suite qu'il fait grincer les dents. Pour trente six mille raisons toutes plus pertinentes les unes que les autres.

Rappelons que les élèves de France ont plus d'heures de travail que la moyenne de leurs condisciples des autres pays de l'OCDE (25% de plus que les petits finlandais), mais surtout que ces heures sont concentrées sur un nombre de semaines très réduit. Il était donc nécessaire de mieux répartir ces heures, et en ce sens ajouter le mercredi matin la demi-journée qui nous avait été unilatéralement enlevée il y a quelques années n'est pas une mauvaise chose. Il aurait également fallu augmenter le nombre de semaines de classe, quitte à les prendre sur les longues vacances d'été, ce qui aurait pu être accepté par les enseignants dans la mesure où la semaine de travail aurait elle-même été rendue moins fatigante. Mais demander comme l'a fait M. Peillon son avis à tout le monde, et en particulier aux professionnels du tourisme, amenait forcément à se passer de cette dernière possibilité. Je dois reconnaître, je l'ai déjà écrit, qu'il est difficile de passer outre les impératifs d'un secteur économique dont on connait en France l'importance et le poids sur notre économie. Soit. Mais d'emblée la question était faussée, et proclamer à tous vents qu'on va "refonder l'école" pour finalement comme prévu -car c'était prévisible, combien de fois ai-je écrit ici ce qu'il fallait penser de la graaaande concertation?- se contenter de mesurettes, cela laisse un goût amer, surtout aux enseignants et aux communes qui vont conjointement payer toute la facture.

Le CSE n'a qu'un rôle consultatif, et en aucun cas décisionnel. Le décret va donc passer tout debout. Quel en est la teneur? Vous trouverez en cliquant ici le texte soumis aux syndicats. En voilà un résumé:

 - le décret sera opérant dès la rentrée de septembre 2013, ou par dérogation à la demande des communes à la rentrée de septembre 2014, les municipalités devant faire leur choix avant le 1er mars prochain;

- les élèves de primaire ont comme avant 24 heures de cours hebdomadaires, mais réparties sur 4 jours et demi au lieu de quatre, la demi-journée supplémentaire étant le mercredi matin ou par dérogation justifiée le samedi matin;

- la journée ne peut dépasser 5h30, et la demi-journée 3h30;

- la pause méridienne ne peut être inférieure à 1h30;

- les enseignants devant 27 heures à leur administration, ils devront assurer chaque semaine 2 heures supplémentaires devant élèves "en groupes restreints" pour faire de l'aide aux devoirs, aider les enfants en difficulté, ou pratiquer des activités prévues au Projet d'école; la 27ème heure est consacrée aux réunions obligatoires hors présence d'élèves (Conseils d'école, de cycle, de maîtres, travaux pédagogiques, etc...).

Tout cela est fort peu satisfaisant. L' Aide Personnalisée (AP), dont j'ai abondamment dénoncé toute la nocivité, prend une lettre et devient APC, ou "Activités Pédagogiques Complémentaires", ce qui revient au même. C'est là une spécificité bien française, qui veut faire accroire que changer légèrement un sigle changerait le destin de l'humanité. Et puis, l'administration de l’Éducation nationale est championne pour l'invention de sigles obscurs qui cachent leur inopérance sous une acronymisation outrancière dans laquelle se perdent même ceux qui comme moi ont trente et quelques années de métier, et ont vu plusieurs fois les services et les personnels du ministère changer de nom comme de chemise: l' IA (prononcer iya) est devenu DASEN (prononcer dazène), l' IDEN (idène) devenu IEN (hyène), etc j'en passe et des meilleures...

Concrètement, réduire d'une demi-heure le temps de classe fait reposer sur les fragiles épaules des communes une charge financière certes attendue (les communes ont toutes fait des simulations pour voir ce que cela allait leur coûter) mais qui n'en reste pas moins lourde, l'aide que l' État prévoyant de leur accorder ne représentant qu'approximativement 25% des frais occasionnés, et uniquement pour la première année de mise en place. De plus, si les payer sera douloureux mais reste budgétisable, il ne sera pas forcément simple de trouver des personnels disponibles aux heures nécessaires, les enfants n'ayant pas d'APC sortant des classes une demi-heure plus tôt qu'avant, ou pire selon la répartition des heures qui sera choisie. Et cela dans la mesure également où les communes bénéficient d'équipement collectifs susceptibles de les accueillir en grand nombre.

Je ne crois pas que les familles réalisent aujourd'hui que pour beaucoup d'entre elles il faudra ajouter une heure et demie ou deux heures hebdomadaires de garde à leurs frais habituels, qu'il s'agisse de garderies municipales ou de nounous agréées...

Au fait, les communes ont-elles pensé aux frais d'éclairage et de chauffage des écoles le mercredi matin? Ainsi bien entendu qu'à ceux générés par le personnel municipal qui aide à l'encadrement comme les ATSEM (atessème) ou qui nettoie les locaux... Je rappelle également à la commune dans laquelle je suis directeur d'école que les locaux ne seront plus disponibles le mercredi matin pour les activités sportives ou culturelles qui s'y déroulaient. Eeeh oui! Il faudra les héberger ailleurs.

Je n'évoquerai également que pour mémoire les difficultés que vont rencontrer les organismes qui se chargent du transport scolaire ou des activités particulières comme la natation et autre activité sportive souvent encadrées par des professionnels dans des lieux comme les piscines ou les gymnases aux plannings déjà serrés. On va bien rigoler.

Mais parlons donc de l'école proprement dite. Ce qui frappe d'emblée le professionnel que je suis, c'est l'absence totale dans le décret de référence au travail des enseignants ou des directeurs d'école. Les premiers vont se taper le boulot, les seconds se retrouvent avec une charge d'organisation supplémentaire alors qu'ils n'en peuvent déjà plus, car si nulle mention n'en est faite vous ne croyez tout de même pas que c'est le Père Noël qui va se charger de gérer le souk généré par le système? Pas de mention de l'organisation du travail donc, ni des frais que représentent pour les enseignants les déplacements supplémentaires du mercredi ou de garderie de leurs propres enfants. C'est anecdotique? Certainement pas. Au prix où est l'essence dans ce pays, et compte tenu que la plupart des enseignants habitent aujourd'hui loin de leur lieu de travail (les instits ne sont plus logés sur place depuis belle lurette), c'est une charge financière concrète pour les 330 000 enseignants du primaire. D'autant que leur salaire, déjà largement en dessous de la moyenne de l'OCDE, est je le rappelle bloqué depuis plusieurs années. Concrètement, les enseignants français sont les seuls de l'OCDE à s'être appauvris depuis quinze ans, surtout ceux du primaire qui sont loin d'avoir le salaire et les avantages financiers de leurs collègues du secondaire pour lesquels chaque heure au-delà de leurs 18 heures de service est fort bien rémunérée. Ajouter pour le primaire une demi-journée supplémentaire à préparer et organiser ne se fait pas tout seul, alors travailler plus pour gagner moins...

Je préfère par charité chrétienne ne pas rappeler la situation catastrophique des directeurs des écoles publiques françaises, j'en cause bien assez à longueur de blog. Mais pour les 51000 directeurs et chargés de direction d'école qui ont en plus charge de classe... J'en suis, sans aucune décharge, et je préfère ne pas y penser.

M. Peillon a dit qu'il allait discuter avec les représentants du personnel d'éventuelles compensations financières. Ah ah ah. Il va également discuter avec les mêmes et le GDiD (prononcer "j'ai des idées") de la situation de la direction d'école en France. Euh... Pourquoi suis-je autant dubitatif? Est-ce parce que les perspectives budgétaires de notre pays sont si peu réjouissantes? Les directeurs d'école devront-ils demander un passeport belge -les directeurs sont dans ce pays fort bien traités, mieux en tout cas que dans la patrie des Lumières- ? ... Il y a de fortes chances que nos syndicats maison se retrouvent Gros-Jean comme devant face à un ministère dont les hiérarques ignorants de l'école primaire ne voudront pas bouger le petit doigt, englués dans leur certitude de notre peu d'importance. Syndicats dont je dois rappeler qu'ils ont soutenu le présent ministre avec une confiance aveugle qu'ils risquent de payer fort cher lors des temps à venir. Mais c'est un autre débat.

L'absence totale de référence aux enseignants et aux directeurs d'école dans le projet de décret de M. Peillon s'accompagne d'une main-mise affirmée des DASEN et des IEN dans le fonctionnement des écoles, puisque ce sont eux qui décideront concrètement des emplois du temps hebdomadaires et de l'utilisation des heures d' APC. L'autonomie des écoles que j'appelle si fortement de mes vœux n'est pas pour aujourd'hui ni pour demain. Ce qui m'amène à penser que, réitérant les mêmes erreurs sous une forme ripolinée, l'école primaire publique française n'ira pas mieux dans les années qui viennent. J'espère qu'elle n'ira pas plus mal. Mais je ne crois pas une seconde qu'on pourra favoriser la réussite de nos élèves en sous-payant les enseignants et en ne donnant pas aux écoles l'autonomie indispensable à des choix pédagogiques particuliers adaptés à leur population scolaire. Laisser ces choix aux IEN et aux DASEN est une erreur dramatique que nous paierons collectivement très cher.

Alors, me demanderez-vous, au moins ce changement dans les rythmes hebdomadaires sera-t-il bénéfique pour les enfants? J'aimerais pouvoir le dire. Je crois aux vertus du mercredi matin, je l'ai déjà écrit. Faut-il pour autant le payer si cher? Quant à la minime réduction du temps scolaire sur la journée, il restera inopérant: les enfants les plus fragiles auront toujours autant de travail pour très peu de réussite en plus, alors qu'ils devraient être pris en charge pendant les cours et au sein de leur classe par du personnel supplémentaire. Vœu pieux qui me fait lorgner avec envie les écoles finlandaises.

Voilà donc le tableau que j'aurais voulu moins dramatique de ce qui attend l'école à la rentrée 2013. Nous reculons face à l'obstacle de l'inefficacité de notre enseignement, mais pas pour mieux l'enjamber, non, nous allons nous fracasser dessus. Je ne pensais pas arriver dans la dernière partie de ma carrière avec une perspective aussi désastreuse. Et c'est avec un moral au 36ème dessous que je vais reprendre lundi matin la route de mon école. En écoutant les déclarations de M. Peillon en mai et juin, je n'attendais certes pas de miracle. Mais je ne m'attendais pas non plus à être plus écrasé encore que je le suis déjà.

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