mercredi 13 février 2013

Le couvercle...


Je suis déprimé. Cédant aux vieilles lunes de la profession, les enseignants français étaient en partie hier en grève et pour beaucoup dans la rue, au nom de revendications obscures et différentes que je défie quiconque de comprendre. Ce qui bien été le cas pour les médias, lesquels donnaient chacun une version différente des raisons de cette mobilisation.

Pour les uns les protestataires refusent la réforme des rythmes scolaires, pour d'autres ils ne refusent pas la réforme mais son application en 2013, etc. Pas un quotidien n'affichait les mêmes titres que ses concurrents. Allez vous faire entendre de la population dans ces conditions!

Comme directeur d'école, je serais pourtant bien placé pour donner une version exhaustive des évènements. Mais les motivations des uns et des autres me sont tout aussi obscures que pour n'importe qui. Il y a ceux qui refusent la réforme. Fort bien, je peux l'admettre. Mais pourquoi? Depuis des années tout le monde râle contre la semaine de quatre jours, toujours au nom du "bien de l'enfant". Monsieur le ministre y met fin. Où est la logique? Il y a ceux qui dénoncent l'application du décret en 2013. Fort bien, je peux le comprendre. Mais le décret lui-même donne la possibilité aux municipalités de repousser son application en 2014! Pourquoi descendre dans la rue? Ne serait-il pas plus opportun de se manifester auprès du maire de sa commune d'exercice pour en discuter? D'autant que de nombreuses communes, pour des raisons budgétaires ou d'organisation, veulent elles-mêmes reporter l'application. Je ne comprends pas alors où veulent en venir les protestataires.

La grande perdante de toute cette opération est donc bien entendu, comme d'habitude, la profession dans son ensemble. Considérés par les français comme des "nantis", jalousés pour la garantie d'emploi des fonctionnaires et la durée des congés scolaires, les enseignants s'enfoncent un peu plus, peaufinant une image égoïste et catégorielle qui accentue une rupture pourtant depuis longtemps consommée avec le pays. Un sondage récent montrait que la population faisait en majorité confiance à ses professeurs. Je suis plus que dubitatif quant à cette image idyllique, et le nombre de candidats aux divers concours de la fonction publique enseignante irait plutôt dans mon sens. Nous sommes paupérisés, décriés, notre métier est devenu infernal... Qui voudrait de ça?

Qui sont alors les grands gagnants de cette grève incompréhensible? Les partis et syndicats d'extrême-gauche, bien entendu. Le travail est une chose précieuse. Alors que pour moi une grève est un moyen ultime -puisqu'il faut arrêter de travailler-, et le dernier recours face à la l'arbitraire, partis et syndicats trotskystes la considèrent comme un moyen de "lutte" normal et facile à coordonner. Ils n'ont pas tort, puisque ça marche. Cela leur permet de mobiliser leur électorat et de rassembler au-delà, surtout lorsque, comme on l'a vu mardi, les partis et les syndicats modérés s'engouffrent dans le piège qu'on leur a tendu, entraînés par une base qu'il ne veulent surtout pas laisser à la merci de groupuscules gauchistes. Il faut avouer qu'il leur est tellement difficile aujourd'hui de faire voter aux élections professionnelles, et surtout à leur profit, qu'ils n'ont pas vraiment le choix s'ils veulent que leurs cadres continuent à se goberger aux frais de la société sur les deniers publics.

Nous avons donc assisté à une grève incompréhensible et, comme toute grève enseignante digne de ce nom, parfaitement inefficace. Je devrais même dire que cette grève fut totalement absurde. Ubu est redevenu Roi, s'il a jamais été détrôné.

Ce qui m'assomme et me déprime, dans toute cette histoire que j'espère anecdotique, c'est que les revendications justes que pourraient porter les enseignants sont passées à la trappe. Je les ai longuement évoquées ici à longueur de billet, mais je vais rappeler les principales pour mémoire:

- changer les rythmes scolaires;
- nettoyer les programmes;
- revaloriser les enseignants du primaire;
- décentraliser l’Éducation nationale au profit des écoles;
- donner un statut fonctionnel aux directeurs d'école.

La première est en route. Dont acte. La seconde et la troisième font partie de la Loi d'orientation dont l'élaboration n'est pas encore bouclée. M. Peillon s'y est engagé. Le nettoyage des programmes était une urgence, mais on peut admettre qu'après plusieurs moutures politisées ces dernières années il soit préférable que Monsieur le ministre prenne son temps. Pour ce qui concerne la revalorisation, la première étape envisagée par M. Peillon est fort logiquement de mettre fin à la dichotomie existante entre enseignants du primaire et enseignants du secondaire, qui pouvait être justifiée quand les instituteurs étaient formés à l’École normale après leur baccalauréat, alors que les professeurs passaient un concours difficile au niveau de la licence, mais qui aujourd'hui n'a plus lieu d'être quand les professeurs du primaire ont le même niveau d'études que leurs collègues du collège ou du lycée -j'exclus l'agrégation-.

La décentralisation, quatrième mesure, je n'y crois hélas pas. On ne met pas fin d'un coup de cuillère à pot à 150 ans d'école jacobine. C'est fort dommage. Les enfants de France gagneraient beaucoup, et nos résultats aux tests internationaux aussi, à ce que l'enseignement qui est dispensé dans nos écoles le soit au plus près de l'intérêt de nos élèves.

Quant à la cinquième mesure, celle qui concerne la direction d'école... Je ne désespère pas, le groupe de travail de la DGESCO est en train de faire son boulot, le Sénat s'intéresse fortement à la question, M. Peillon a fort bien cerné le problème, certaines centrales syndicales persistent à évoquer la question, le GDiD ne lâche rien... Même les IEN réunis il y a quelques jours à l'Université d'Assas en ont parlé. Comme quoi il est aujourd'hui devenu évident pour tous les acteurs du système qu'on ne pourra pas arriver à grand-chose dans une "refondation" voulue et proclamée sans que les directeurs d'école en soient partie prenante.

Mais les syndicats d'extrême-gauche ont tout de même réussi à poser, sur cette question et d'autres dont ils refusent la seule évocation ("Ni Dieu ni maître!"), un fort joli couvercle, superbement ouvragé, tricoté avec amour. Ce couvercle ne sera-t-il qu'un feu de paille? (Seigneur,quelle image! J'ai honte.) Espérons-le. Espérons que les directeurs d'école de ce pays, comme les centaines de milliers d'enseignants qui n'étaient pas en grève mardi dernier, ne paieront pas le prix d'un amalgame désastreux pour notre image et celle de l'école. Espérons que nous ne serons pas assimilés aux démolisseurs qui préfèrent un statu-quo nauséabond à une évolution logique et à mon sens inévitable. Les directeurs d'école de ce pays veulent le bien et cherchent l'intérêt de leurs élèves, seul un statut différencié et fonctionnel, juridiquement clair, reconnu financièrement et administrativement, peut les aider à remplir au mieux leur difficile mission.

2 commentaires:

  1. Bonjour. Très belle tribune. Sauf le paragraphe "Qui sont alors les grands gagnants de cette grève incompréhensible?" avec lequel je suis en total désaccord. Pour moi, cette analyse est un contresens, quelques arguments :
    - Des militants minoritaires, même militants, restent minoritaires, ils ne font pas une mobilisation d'ampleur sinon Sarkozy ne serait pas resté au pouvoir plus de 5 ans, et nous n'aurions pas subi 10 ans de contre-réformes dans l'Éducation Nationale.
    - Si les revendications sont obscures, c'est bien qu'il y a plusieurs logiques à l'œuvre. Celle de "l'extrême-gauche" comme vous dites mais d'autres aussi qui n'étaient pas sur les mêmes bases revendicatives. Et c'est là toute l'ambivalence des "dindons".
    - Dans mon département, ceux qui ont fait l'ampleur de le mobilisation ce n'est pas les militants d'extrême-gauche mais des collègues qui font très peu grève et ce sont très peu mobilisés depuis 10 ans (pas des militants donc), des collègues non-syndiqués et la "base" du SE-UNSA.
    - À l'inverse, mes engagements pourraient me faire étiqueter militant à gauche de la gauche, et pourtant je n'ai pas fait grève, et pour ce que j'ai vu des débats animés sur des listes de collègues militants pédagogiques et très à gauche… je ne suis pas le seul.
    Pour moi, les grands gagnants sont (i) ceux qui veulent que rien ne bougent (disons les corporatistes) (ii) ceux qui veulent liquider l'EN et qui, faute de réforme progressiste, auront le champs libre pour le faire lors de la prochaine alternance.
    Pour le reste, je me retrouve tout-à-fait dans votre tribune.

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  2. C'est bien la première fois, en dix ans d'internet, que je reçois un VRAIE critique, motivée, explicitée. J'apprécie plus, bien plus, que vous ne pouvez l'imaginer, et je vous en remercie grandement.
    Je suis contraint, dans un billet, d'aller au plus pressé. Faire une analyse fine ne rentre pas dans le domaine de ce blog. Je n'en aurais pas le temps, et ce ne serait je crois pas le lieu, internet ne se prêtant pas vraiment à ça.
    Vous avez raison, bien sûr. Certains qui ont fait grève l'ont fait par lassitude du dédain dans lequel ils sont tenus; d'autres parce qu'ils se sont laissés convaincre par des arguments fallacieux. Il est évident que tous ceux qui étaient grévistes n'étaient pas des fanatiques d'extrême-gauche. Et je vous rejoins sur l'idée que les gagnants -c'était le fond du billet- sont ceux qui refusent tout changement, quelle que soit leur motivation.
    Je ne faisais pas grève non plus, bien sûr. D'abord parce que je pense que nous allons vers le mieux (et pourtant mes opinions politiques ne sont pas celles du présent gouvernement) et que j'apprécie les prémices de la liberté d'enseigner au plus près des besoins de mes élèves que m'octroie M. Peillon, ensuite parce que je privilégie la discussion au conflit.
    Merci de votre commentaire. Encore une fois je l'apprécie plus que vous l'imaginez.

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