On parle beaucoup de l’Europe, en ce moment. Et des institutions européennes. Il est envisagé de davantage fédérer les nations qui ont choisi l'euro comme monnaie unique autour de structures économiques et administratives communes. Il est vrai que c'est un choix envisageable pour sortir notre continent du marasme qui l'affecte, alors que d'autres parties du monde connaissent des taux de croissance exponentiels. La Chine, l'Inde, le Brésil sont en train de devenir des grandes puissances, alors que la France, l'Espagne ou l'Italie, nations anciennes qui ont fait en partie l'Histoire, s'enfoncent graduellement dans l'impuissance et la morosité.
Évidemment il sera nécessaire, si structures communes il y a, de drastiquement passer à la serpe nos pyramides administratives françaises, enflées de fonctionnaires incompétents et en partie inutiles, comme celle que je dénonce régulièrement de l’administration de l’Éducation nationale. Combien dans cette pyramide d'étages qui ne servent plus à rien? Quel poids de normes, règles, lois et directives diverses qu'il nous faudrait sérieusement alléger? Combien de temps perdu pour l'application d'une mesure nécessaire ou urgente? Quelle autonomie constamment refusée au profit d'admonestations et d'injonctions inadaptées aux fonctionnements sur le terrain? En ce sens, les perspectives européennes sont certainement une chance qu'il nous faudra saisir pour enfin réformer notre état jacobin et centralisateur, et donner aux agents de terrain la souplesse et la possibilité d'action comme d'adaptation que nécessite une société moderne aux besoins toujours plus diversifiés et aux changements toujours plus rapides.
Il nous faudra, sinon unifier, du moins rendre les systèmes éducatifs européens semblables, ne serait-ce que parce qu'aujourd'hui un étudiant commencera sa scolarité supérieure dans un pays pour la continuer dans un autre. C'est un chance pour l'acquisition de connaissances et de compétences. Les années qui viennent montreront de plus en plus la nécessité d'accroître ces échanges, et je suis persuadé que dans peu d'années il sera facile et utile qu'un enseignant allemand ou français puisse enseigner en Italie ou en République Tchèque, et vice-versa. Comme les élèves eux-mêmes se verront offrir la même possibilité de commencer leur scolarité dans un pays pour la continuer dans un autre, car le marché du travail en Europe devra forcément s'élargir et pleinement être ouvert quelle que soit la nationalité du parent d'élève concerné qui voudra suivre les opportunités qui lui seront offertes ailleurs.
Cela signifie qu'il deviendra impossible en France de laisser perdurer notre système actuel, qui aujourd'hui montre, en dépit des efforts désespérés quotidiens des enseignants et des directeurs d'école, qu'il a atteint ses limites et est devenu parfaitement inopérant, abandonnant en déshérence chaque année des milliers d'enfants inadaptés à un système trop rigide et hors d'âge.
L'exemple des maintiens, ou redoublements, est parlant. Il faut considérer que ce sont en France la rigidité de nos programmations annuelles et la non-application des cycles qui font que nous les considérions comme des opportunités viables. D'autres organisations scolaires dans d'autres pays voisins font façon des difficultés de l'enfant pour les pallier le plus rapidement et le plus efficacement possible, sur le temps scolaire, sans rallonger la scolarité. C'est une spécificité française inefficace, mais hélas inhérente à notre système. Une sorte de mal nécessaire. Qu'on nous donne l'autonomie de moyens et de fonctionnement dont nous avons besoin, qu'on nous permette de gérer la difficulté avec d'autres méthodes, qu'on mette fin à la répartition en classes d'âges, bref que nous puissions suivre l'exemple d'autres pays européens qui ont eu le courage de réformer leur système scolaire, et les maintiens ou redoublements deviendront une scorie de l'histoire de l'éducation.
Je veux être clair: jamais en trente-cinq ans de carrière je n'ai vu un redoublement efficace sur le long terme, l'enfant concerné finissant irrémédiablement sa scolarité avec un parcours totalement différent de celui des camarades de son âge et traînant toute sa vie un boulet scolaire d'échec dont l'éducateur que je suis doit nécessairement avoir honte. Oh, ce n'est certes pas ma faute, c'est un drame collectif entraîné par un système scolaire inéquitable. Mais pourquoi insister? Certes vous me trouverez toujours un contre-exemple, mais pour combien d'échecs patents?
Lorsque j'étais enfant, l'épée de Damoclès du "redoublement" était une peur récurrente. J'étais pourtant excellent élève. Mais cette sanction irrémédiable nous faisait à tous une peur bleue. Nous perdions contact avec le condisciple ainsi stigmatisé, qui dans une autre classe quittait notre horizon scolaire, quelque bon camarade il ait pu être, et restait marqué à nos yeux d'une tache ineffaçable. Et puis, il faut bien le dire, nous avons tous rencontré dans notre scolarité un instit ou un prof abominable, de ceux qui vous terrorisent, vous font lâcher toute envie de travailler, ou vous dégoûtent d'une matière. Ce fut mon cas au collège, avec une prof de maths qui me détournera des activités mathématiques pour nombre d'années. Ce ne sera qu'adulte, quinze ans après, que je redécouvrirai le bonheur des raisonnements logiques et de la géométrie, et surtout le plaisir de les enseigner. Pouvons-nous imaginer perdurer dans un système qui permette ce genre d'incident, qui peut être grave, sans localement aucun moyen de le pallier? Un enseignant a le droit d'être absent, d'être déprimé, d'être malade, cela nous arrive à tous, cela m'est arrivé. Devons-nous pour autant condamner les enfants dont il a la charge? Pouvons-nous faire abstraction du besoin fugace de certains de nos élèves d'un coup de main ponctuel, d'une aide momentanée? Pouvons-nous faire abstraction d'un découragement éphémère, d'une lassitude liée à l'histoire familiale ou à un coup de fatigue? Certes non. Pourtant rien dans l'organisation de nos écoles ne facilite le soutien ou l'assistance provisoires dont certains enfants ont besoin lors de leur scolarité. Car cette aide ne peut venir que de l'enseignant lui-même, mère ou père putatif dont l'affection est si importante pour l'élève -c'est en partie le fameux "effet maître"-, et surtout sur le temps scolaire au cours des apprentissages, et non en sortant l'enfant de sa classe ou en lui rajoutant un temps d'apprentissage supplémentaire. En avons-nous le temps? Parfois, pas toujours hélas. L'école est-elle organisée pour? Parfois, quand il existe dans une école une équipe enseignante consciente, mais hélas généralement pas, car le système scolaire français n'est pas organisé pour, qu'il s'agisse de la répartition des enfants par classes d'âge, par lieu géographique au sein de l'école, avec UN enseignant désigné, avec des programmes démentiels... Et même si l'équipe d'enseignants voulait travailler différemment, rien n'est fait pour lui faciliter la tâche, et surtout pas la structure rigide et cloisonnée du système qui favorise l'individualisation et l'égoïsme des professeurs au détriment des besoins collectifs et évidemment de ceux des enfants.
Vous surprendrai-je si en cette fin de billet je rappelle quelques-unes de mes obsessions? Tous les pays européens qui ont rénové et modernisé leur système éducatif l'ont fait en exaltant l'autonomie des écoles et en donnant à leurs directeurs d'école les moyens d'agir localement en faveur de la réussite de leurs élèves. C'est une évidence que la France ne peut se passer de telles mesures si elle veut entrer de plain-pied dans une Europe renaissante. Il faut à notre pays des écoles autonomes et fortes, confortées dans des fonctionnements particuliers adaptés à leur public et leur territoire, dirigées par une direction d'école statutaire et reconnue. Les nations voisines de la nôtre ont des directeurs d'école dont nous n'avons pas à envier la compétence, car les directeurs d'école français prouvent la leur quotidiennement en dépit des obstacles mis en travers de leur mission. Il faut à la France des directeurs d'école reconnus juridiquement et administrativement, respectés, rémunérés à la hauteur des enjeux, autonomes dans leurs choix et leurs projets. Alors seulement l'école primaire publique française pourra reprendre dans le concert européen une place d'excellence que jamais notre pays n'aurait dû lui laisser perdre.
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