Les directeurs d'école sont secoués dans tous les sens en ce moment. Les capitaines de caboteurs que j'évoquais dans un ancien billet sont singulièrement ballottés sur un océan éducatif aux eaux agitées.
La rentrée est difficile pour toutes les écoles, les enfants fatigués, les conditions climatiques insatisfaisantes. Certains connaissent les affres d'être "passés" au rythme de quatre jours et demi, avec une organisation supplémentaire à assumer. D'autres ont vu leurs effectifs exploser. Et pour parfaire le tableau rien n'a changé des injonctions diverses et autres documents ou chiffres à rendre pour l'avant-veille dernier délai.
Bref, c'est comme d'habitude pour les directeurs d'école la période la plus compliquée de l'année.
Si on parle beaucoup dans les médias actuellement des "nouveaux" rythmes scolaires, c'est le point de vue de certaines familles et de certains élus qu'on y expose, ou les erreurs de communes qui ont voulu anticiper sans prendre le temps d'y réfléchir, ce qui amène bien entendu encadrement dérisoire et activités périscolaires ridicules. C'est logique. Techniquement l'école elle-même est moins impactée que les municipalités, si on excepte trois points que j'ai déjà dénoncés:
1) l'absurdité de prétendus "rythmes" qui ne tiennent aucun compte de l'âge des élèves concernés, comme si un enfant de trois ans et un de dix ans pouvaient être traités ou considérés de la même façon, avec la même fatigabilité et les mêmes intérêts;
2) la non-prise en compte des frais engendrés -de garde, de déplacement- pour des enseignants amenés à venir sur leur lieu de travail un jour de plus par semaine;
3) la gestion technique des listes d'élèves par les directeurs d'école -qui n'ont que ça à faire, chacun le sait-, avec des enfants dont pour beaucoup les journées de classe sont inégales en durée, et qui ne savent plus eux-mêmes où ils en sont chaque fin d'après-midi...
Mais ces trois points pourraient rester anecdotiques, s'ils ne rajoutaient pas une couche supplémentaire à la mission déjà fastidieuse et énergivore des directeurs d'école lors des semaines de rentrée. Dois-je rappeler des élections de parents d'élèves parfois compliquées à organiser? Ou la quantité ahurissante de paperasse que nous sommes amenés à remplir, de courriels, de tableaux Excel et autres bases de données, souvent inutiles ou qui pourraient largement attendre des jours meilleurs? Sans compter l'agitation continue des IEN de circonscription en cette période, une vraie danse de Saint Guy avec son cortège de "notes de service" redondantes et autres consignes superfétatoires. Je ne voudrais pas oublier que le directeur d'école est aussi un enseignant, qu'il a charge de classe et qu'à la rentrée ce n'est pas rien; seuls 5% des directeurs d'école sont totalement déchargés de classe, alors que
17820, soit 38%, n'ont aucune décharge et doivent s'occuper de leurs élèves 6 heures par jour, ce qui évidemment les oblige à gérer leur école en dehors du temps scolaire. Ridicule. Idiot.
On aurait pu imaginer, avec cette "refondation" dont on nous rebat les oreilles depuis deux ans, que certains aspects pénibles de la fonction de direction d'école auraient pu depuis sinon disparaître du moins être fortement atténués. Que nenni, chers collègues! Rien n'a changé, c'est même pire! Concrètement les directeurs d'école n'ont RIEN obtenu depuis deux ans de concret pour alléger leur charge ou reconnaître l'importance de leur mission. Ce n'est pourtant pas faute de causer de nous dans les hautes sphères, depuis même la fameuse "graaaaande concertation" qui a fait tant de bruit pour... ben pour rien en fait. Much Ado About Nothing. Mais je l'avais déjà écrit ici à l'époque, tant il était évident que cette longue discussion était un foutage de gueule intégral. Et pourtant on y a causé des directeurs d'école, chacun dénonçant notre position ahurissante et intenable, sans existence réelle, alors que nous sommes indispensables au fonctionnement de l'école publique française.
Car nous sommes bien, directeurs et directrices d'école, les maillons essentiels du fonctionnement pyramidal de l'institution. Reconnus localement par nos élèves, les familles, les municipalités, c'est nous qui gérons tous les aspects pratiques qui permettent à l'école son activité quotidienne centrée sur les apprentissages aux élèves. Mais étrangement nous sommes ignorés ou méprisés par notre hiérarchie, même immédiate, qui ne voit en nous au mieux que des factotums médiocres et corvéables à merci, au pire que des fusibles fort pratiques à faire disjoncter quand le besoin s'en fait sentir.
J'ai déjà expliqué dans un précédent billet que ce rôle étonnant de fusible servait pour l'administration incompétente du ministère de l’Éducation nationale à se protéger de ses propres dysfonctionnements. Au moindre souci qui pourrait distraire les IEN ou les DASEN de leur sieste agitée, on explose le directeur d'école, on lui met tout sur le dos, on le harcèle, et vogue la galère! C'est facile, ça ne coûte rien, cela relève de l'opacité de règles internes étranges qui se perpétuent depuis des décennies, c'est totalement contraire à toute justice, mais c'est efficace. Nous avons ainsi en France, si j'en crois les chiffres 2013 de la DEPP, 47672 fusibles prêts à sauter à la moindre alerte, sans justification ni explication digne de ce nom, sinon que pour l'administration le directeur "a failli" à sa tâche. Comment, pourquoi, tout le monde s'en fout, hiérarchie en tête qui peut ainsi se débarrasser à bon compte de ceux qu'elle a dans le nez ou de ceux qui ne rentrent pas parfaitement dans le moule, quelle que soit leur réussite éventuelle sur le terrain. Tous les prétextes seront bons pour écarter un directeur compétent mais qui titille peut-être son administration de tutelle ou en dénonce les abus, qu'il ait ou non raison de le faire. Le mensonge, le déni de justice et le harcèlement comme méthodes de gestion, oui le fonctionnariat de l’Éducation nationale est ainsi, le diplodocus ne veut voir qu'une tête, et surtout éliminer le plus vite possible, sans coup férir ni recours possible, le moindre petit caillou ou vague obstacle à son lourd cheminement vers les marais puants où il finira pourtant fatalement par s'enliser.
L'horrible procès qui est fait actuellement à notre collègue Jacques Risso en est hélas une illustration parfaite, avec un dossier forcément à charge rempli de rumeurs et de pièces qui n'ont rien à y faire, qu'elles relèvent de la sphère privée ou de la liberté d'expression que pourtant la loi reconnait aux fonctionnaires. Ne vous trompez pas, le drame que connait Jacques Risso est emblématique, mais il n'est pas le seul! D'autres directrices et directeurs sont virés comme des malpropres chaque année, soit que comme la mouche du coche ils aient agacé le conducteur, soit qu'ils aient fait une erreur pour laquelle ils auraient dus être soutenus mais dont l'administration prendra immédiatement prétexte pour écarter l'importun et opportunément éliminer le problème. Le directeur concerné ne pourra rien y faire, il n'est rien, il n'existe pas, il n'a aucun statut qui le protège, comme d'ailleurs il n'a souvent reçu ni formation ni consignes précises qui définissent clairement sa mission. Le directeur devient directeur "sur le tas", en essuyant refus, mépris, coups et avanies. Et sans aide, sauf exception, de sa hiérarchie immédiate.
Je ne vous referai pas le couplet du statut nécessaire des directeurs d'école, si vous lisez ce blog vous le connaissez par cœur. Je pense simplement ici à mes collèges disparus de cette mission, soit qu'ils ont été déplacés, virés, ou plus simplement que d'eux-mêmes ils s'en sont échappés, dégoûtés ou épuisés. Il va bientôt falloir que le Ministre choisisse entre les directeurs d'école, qui sont les seuls à même d'appliquer cette "refondation" qu'il appelle de ses vœux, et son administration pléthorique et incompétente, ou pire. J'attends de voir ce que donneront les divers entretiens que le GDiD a et aura avec le ministère, sans me faire peut-être trop d'illusion. Mais fatalement si rien ne change pour les directeurs d'école, le GDiD qui claquera la porte la refermera en fait ainsi violemment au nez d'une occasion ratée pour rendre tout son lustre et toute son efficacité à l'école publique française. L'école ne pourra plus que crever lamentablement sous la tutelle des principaux de collège. Les syndicats du secondaire, assistés de quelques syndicats du primaire au tempérament suicidaire, attendent impatiemment la mise à mort. La balle est dans votre camp, Monsieur le Ministre.