mardi 25 février 2014

Petit séjour en Absurdie...


Depuis de nombreuses années beaucoup de rapports et constats sur l'enseignement primaire déplorent l'absence d'enseignants expérimentés dans les secteurs où ils seraient les plus utiles, précisant que les postes difficiles en ZEP, RAR ou ECLAIR sont dévolus aux enseignants débutants.

Certes, certes... Difficile de nier la réalité des faits. Moi-même par exemple j'ai commencé ma carrière par quinze années de remplacement, sur une "circonscription" dont la majeure partie était en ZEP. J'ai continué en ZUS (Zone Urbaine Sensible) comme enseignant puis comme directeur, et aujourd'hui je suis tranquillement installé dans une commune semi-rurale qui ne rentre dans aucune des catégories susmentionnées. Je dois préciser que je ne suis plus aujourd'hui que directeur de deux classes, les trois autres ayant fermé aux cours des années. D'ailleurs...

Portrait!

Je suis un enseignant de maternelle très expérimenté, spécialiste de la petite enfance, aux résultats excellents avec mes élèves à la réussite desquels je suis très attentif. Comme directeur d'école et comme enseignant, j'ai des rapports remarquables avec les familles qui y sont très sensibles, un contact de confiance avec une municipalité qui du coup se met en quatre pour nous aider dans notre travail. Mes années de direction d'école m'ont apporté une efficacité reconnue dans ma mission, et je sais élaborer des projets de longue haleine qui font l'unanimité pour leur intérêt et leur réussite...

Bref, si les écoles étaient des entreprises, je serais une proie de choix pour n'importe quel chasseur de tête.

Imaginons ce dialogue:

"- Bonjour Monsieur, je voudrais vous embaucher pour vous occuper d'une autre école. Vos qualités y seraient fort utiles!
- Vous me proposez quoi?
- Eh bien vous auriez une charge d'enseignement guère moindre qu'aujourd'hui, pour vous occuper de huit classes d'élémentaire au lieu de vos deux classes de maternelle, et je vous gratifierais de 80 € de plus par mois! Royal, non?
- Vous vous foutez de moi? Au revoir Monsieur."

Ziiiiiip! Petit retour en arrière, je me suis trompé, j'avais oublié que je faisais de la science-fiction! Je recommence:

"- Bonjour Monsieur, je voudrais vous embaucher pour un travail à la hauteur de vos compétences.
- Vous me proposez quoi?
- Vous seriez directeur, sans aucune charge d'enseignement, responsable de votre projet, de votre budget et de votre personnel, avec pour seul objectif la réussite de vos élèves qui serait observée à la loupe avec le seul risque de retourner dans votre poste actuel en cas de défaillance. Vous auriez huit classes primaires, de la maternelle au CM2, et je double votre salaire actuel.
- Je signe où?"

Car voilà bien, concrètement, où le bât blesse. Après trente-cinq ans de carrière, après avoir tant donné à mes élèves, leurs familles, mes collègues, tout ça sans considération et payé des clopinettes, je n'ai aucunement envie de jouer les héros ou les sauveurs sans contrepartie digne de ce nom. Pourquoi diable irais-je m'enquiquiner avec une école élémentaire et les merdouilles administratives que notre institution depuis des décennies s'ingénient à lui mettre sur le dos, moi qui suis si tranquille dans ma petite école maternelle? Pour avoir plus de classes à gérer? Belle affaire que celle de tripler sa tâche de directeur et n'avoir pour l'assumer qu'une seule journée sans classe, tout en conservant la charge de la réussite de ses propres nombreux élèves. Pour gagner plus d'argent? Entre ma charge de direction actuelle et celle d'un directeur de neuf classes il n'y a que 80 € de différence. Vous voudriez qu'à mon âge je me tue pour une somme aussi ridicule? C'est une blague?

Je pourrais aussi retourner travailler en ZEP... La ZEP, son soleil, son ambiance de fête, son atmosphère... Pas fou. Je laisse ça à ceux qui ont encore de la résistance et de l'énergie, ou qui n'ont pas le choix car trop jeunes pour postuler sur des postes plus tranquilles. Car le choix pour moi il est aujourd'hui de me ménager du mieux que je peux, alors que ma mission est déjà bien difficile. Je profite donc honteusement, mais sans aucun remord, de ma position et de mon barème de directeur blanchi sous le harnois, pour profiter d'une petite commune sympathique et attentive, de parents d'élèves de la classe moyenne souriants et attentionnés avec leurs enfants comme avec l'école, et de très jeunes élèves mignons et travailleurs. Si je dois payer ça 80 €, ben ce n'est pas cher.

Tout ça pour dire que tant que les conditions de travail des directeurs d'école seront celles que nous connaissons, nos salaires ceux que nous connaissons, les écoles celles que nous connaissons, les marges de manœuvre des directeurs d'école celles que nous connaissons, vous n'êtes pas prêts de voir changer les résultats PISA des petits français. Mais qui aura le courage de purger l'Education nationale, de payer les enseignants comme ils devraient l'être, et de donner aux directeurs d'école les moyens de travailler correctement?

1 commentaire:

  1. Tu ne sais pas si bien dire !!!
    Dirlo, école 8 puis 6 classes. Des "cas". Je fais , je pense, "bosseré mes élèves.
    Je change pour plus gros dans la commune voisine, pas de bouleversement.
    Bah si...
    Et là, tu te prends une claque terrible.
    Des élèves qui s'en foutent, ne veulent pas bosser, ed'autres en perdition... 8 cas "difficiles" sur 25...
    Et toi, tu rames... rames... rames...
    Désespérant. Mais tu as aussi la direction...
    Je n'en dis pas plus.
    Merci piour ton blog... frais.

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