dimanche 18 mai 2014

La rupture...


Voilà, ça y est, la rupture est consommée. L'union contre-nature de l'école primaire et de l'enseignement secondaire a bien vécu.

Il faut dire que c'était l'union de la carpe et du lapin: fonctionnements différents, salaires différents, statuts différents, temps de travail différents... donc intérêts forcément divergents. La réussite d'un couple tient en grande partie au respect mutuel et à la considération que chacun a pour l'autre. Quand il n'y a qu'incompréhension et mépris, le divorce est logique et rapide.


Mais il ne s'agissait que d'un PACS, non d'un mariage. Chacun va reprendre ses billes sans souci, même les meubles n'avaient pas été achetés en commun. Avec deux lits jumeaux, ce sera simple, car il n'a jamais été question de coucher ensemble.

Je parcours ce matin les sites syndicaux, comme chaque jour, pour voir ce qui y est dit de ce report fumeux de la pré-rentrée et de la rentrée des élèves. Il n'y a pas trente-six façons de voir les choses, il n'y en a que deux, ceux qui s'en félicitent et crient à la victoire, ceux qui y voient une catastrophe. Dans le premier camp en gros les syndicats du secondaire; dans le second les syndicats du primaire, sauf un. Difficile de faire plus clair.

J'écarte les sites qui ne sont pas à jour -et en fait le sont rarement, voire jamais-. Il existe des syndicats qui fonctionnent encore comme à l'âge de pierre, et ne comprennent pas l'importance du réseau, ou utilisent des programmes anciens aussi bien fichus que ceux élaborés en interne par l’Éducation nationale... je sais ce que je veux dire! Par charité chrétienne je laisserai ces sites et ces syndicats de côté.

Le SNES jubile! Comme l'indiquait son "twwet" qui a fait le tour du pays, c'est pour ces gens-là une grande victoire syndicale que ce report, leurs vacances ne sont pas touchées. C'est tant mieux pour eux, leurs affidés s'en félicitent aussi, nombre de commentaires sur Facebook ou sur les sites des quotidiens exprimaient fièrement -avant qu'on sache que la rentrée des élèves était également reportée- que de toute façon cette journée "ne servait à rien". Je ne ferai pas de commentaire, mes deux derniers billets sont de ce point de vue suffisamment éloquents. Les commentaires du public aussi, qui nous conchie avec vigueur à longueur de colonnes et relance l'image de feignants, de nantis, de profiteurs. Merci le SNES. Le syndicat fait aussi l'éloge d'un billet d'Arnaud Parienty, agrégé d'économie et membre de la FSU, qui comme de juste se réjouit pour les "salariés" et se permet de donner des leçons à tout le monde sans réaliser une seconde qu'il emmerde 335 000 professeurs des écoles, ce qui prouve bien que ce "penseur" et moraliste auto-proclamé ne connait rien au fonctionnement des écoles. Eh, ne rigolez pas, c'est ce genre de bonhomme qui est convié par le ministère dans les groupes de travail et autres conseils. Si vous vous faites scalper un peu plus chaque année, chers collègues du primaire, c'est un peu à lui que vous le devez.

Le SNALC avait lancé les hostilités, c'est lui qui menaçait le ministère de l’Éducation nationale d'une grève à la prochaine rentrée. M. Hamon les a entendus -avec quelle oreille?-. Le site du SNALC indique que "le ministre a reporté la prérentrée au 1er septembre à la suite du dépôt de préavis de grève du SNALC pour le 29 août". Joie! Félicité! Que du bonheur! Et avec une incompréhensible logique, ce syndicat étrange précise que "les instituteurs et professeurs des écoles n'ont jamais attendu une quelconque officielle prérentrée pour venir préparer dès le mois d'août leur salle, les cahiers, le matériel, les fournitures… sans aucune contrepartie jusqu’à ce jour, dans le seul but de tout mettre en œuvre pour le meilleur accueil de leurs élèves." J'aimerais qu'on m'explique pourquoi il y a lieu de se réjouir de ce report qui soit va alourdir nos journées de travail puisqu'il faudra "rattraper" la journée manquante, soit manquera aux élèves dans le cas contraire. J'aurais pour ma part préféré largement qu'on reconnaisse administrativement ma présence dans mon école plusieurs jours en amont de la rentrée. Je suppose que c'est un raisonnement de prof du secondaire. Vous noterez tout de même que le billet du SNALC n'a été publié que le 17 mai, soit après que les professeurs des écoles et certains syndicats du primaire aient fait entendre violemment leur voix divergente. C'est ce qu'on appelle je suppose du réalisme politique. N'oublions pas que les élections pro auront lieu en fin d'année... J'adore l'absence de finesse des manœuvres syndicales!

Le troisième syndicat à se réjouir du report, c'est la CGT. Est-ce que ça vaut le coup d'épiloguer?

Notez que ces trois syndicats "s'opposeront" -c'est leur mot, c'est leur credo, leur confiteor- au "rattrapage" de la journée de classe manquante. Merci pour nos élèves, merci pour l'image de la profession que vous voulez faire passer, nous étions trop bien vus cela n'allait plus.

Du côté de ceux qui gueulent, nous trouvons pour la première fois depuis longtemps les deux grandes centrales syndicales du primaire, le SE-Unsa et le SNUipp. Ces deux là méritent des traitements différenciés. C'est le SE qui a dégainé le premier avec une expression très claire, je lui en rend grâce, dénonçant pêle-mêle la précipitation, les cafouillages, l'absence de concertation et la méconnaissance des fonctionnements du primaire. Aujourd'hui le SE s'oppose au rattrapage avec deux arguments forts que je partage totalement: "Ce n’est pas aux enseignants de faire les frais d’une gestion calamiteuse de ce dossier !" et "Terminer le lundi 6 juillet n’a vraiment pas de sens. Quant à la récupération sur l’année scolaire, elle est source de difficultés comme cela a déjà été le cas cette année, au prix de complications et de malentendus dont les enseignants n’ont vraiment pas besoin. Dans le premier degré, cela devient un casse-tête chinois avec la réforme des rythmes : travailler deux mercredis entiers n’est acceptable ni pour les élèves ni pour les enseignants !"

Le SNUipp a aussi été très clair et pour une fois rapide en exprimant que "l’École et les enseignants se sont retrouvés au centre de communications confuses et incompréhensibles". Comme le SE, le SNUipp rappelle que "Depuis toujours, les enseignants n’attendent pas le jour de la rentrée pour lancer leur année scolaire. Préparations de classe et programmations pédagogiques ne tombent pas du ciel et les enseignants s’y attellent bien avant le « jour J »." Le SNUipp s'oppose aussi au "rattrapage": "Les familles et les personnels n’ont pas à faire les frais de ce dossier très mal géré par le ministère." La question que je me pose maintenant quant au SNUipp, c'est celle de sa présence au sein de la FSU. Depuis plusieurs années maintenant, et je l'ai déjà dénoncé ici, le SNUipp compte pour du beurre dans cette fédération et n'est qu'un jouet amusant aux mains calleuses d'un SNES surpuissant et sourd aux besoins du primaire. Pourquoi persister?

Au passage, je souligne que le Conseil national du SNUipp a fait paraître ce matin un "texte action" proposant un certain nombre de constats sur l'état de l'école primaire et définissant un certain nombre d'actions pour l'avenir. Il n'y a dans ce long texte pas un seul mot sur les directeurs d'école. Pour le SNUipp nous n'existons toujours pas, et ne méritons même pas d'être seulement cités un fois. Chers lecteurs de ce blog, je ne doute pas que vous saurez apprécier ce détail à sa juste mesure.

Il existe d'autres centrales syndicales. Pour FO, c'est le silence radio. Leurs divers sites sont déjà fort mal tenus, mais peut-être est-ce aussi bien que FO ne s'exprime pas sur le sujet, parce que si c'est pour faire comme la CGT, autant qu'ils la bouclent.

Le SGEN-CFDT non plus ne dit rien sur son site national, mais la cause en est peut-être aussi une légère indifférence à l'internet, car j'ai trouvé sur le site SGEN-CFDT de ma région un article indigné malheureusement arrêté au jeudi 16 et à la pure et simple suppression de la journée de pré-rentrée: "La suppression de cette journée laisse entendre que ce travail de préparation de l'accueil des élèves était sans intérêt, ce qui est scandaleux pour tous les collègues qui s'y investissent chaque année. Le résultat de cette décision est que ce travail préparatoire sera effectué et organisé clandestinement, sur la base de l'investissement de quelques uns et à l'initiative des chefs d'établissement." Je me réjouis de ces mots, même si j'aurais apprécié une mise à jour le vendredi, et même si je dois rappeler à celui qui les a écrits que les directeurs d'école NE SONT PAS chefs d'établissement. Mais bon, c'est un bel effort.

Les autres syndicats, les petits et les sans-grade, ne s'expriment pas non plus sur cette question du report de la rentrée. Je ne leur en veux pas, ils sont si petits que j'imagine qu'il leur est très compliqué de tenir leur site à jour. J'aimerais bien quand même qu'ils en comprennent toute l'importance en 2014. C'est leur intérêt aussi d'être connus avant les élections professionnelles.

Bref, comment pourrais-je résumer ce billet? Il existe une nette rupture désormais entre le primaire et le secondaire. Outre l'ignorance et le mépris que j'ai décrits dans mon article précédent, il est clair désormais qu'entre professeurs des écoles et professeurs du secondaire les intérêts sont divergents. Nous devons le comprendre et l'accepter, afin de défendre au mieux nos intérêts. Le statut des directeurs d'école en fait partie, comme la reconnaissance du travail que nous effectuons sans qu'il soit seulement repéré ni évidemment reconnu -en temps comme en qualité-, comme les différences ahurissantes de  nos salaires à qualifications égales. La rupture est consommée, elle doit être entérinée par nos syndicats, afin que nos revendications soient enfin considérées par le ministère. Ce sera peut-être finalement une chance pour l'école primaire publique que nous aimons et pour nos missions que nous effectuons avec tant de cœur pour nos élèves et les familles.

3 commentaires:

  1. Je ne me résigne pas à pas la conclusion, l'éducation est un tout, de la maternelle au lycée. C'est aux enseignants de le prendre en compte, non l'inverse. Sinon, ok sur tout.

    Daniel Chartier

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  2. Cher collègue, (si tu me permets de t’appeler comme ça et de te tutoyer puisque je suis enseignant "du 2nd degré". Certifié d'Histoire-Géo pour être précis).

    Je partage très largement ton indignation sur le report de la pré-rentrée et le pataquès. Et je suis très loin d'être le seul a être de cette avis. Ce n'est pas une histoire de 1er ou de 2nd degré mais une histoire de conception du métier.

    D'ailleurs, il y a bien un syndicat du premier degré qui s'est réjouit du report de la pré-rentrée. C'est le Snudi-FO. et si je ne me trompe pas, il est 3e syndicat des PE C'est donc qu'il y a bien des collègues du premier degré qui se reconnaissent dans ses analyses.

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  3. Cher collègue aussi, si tu veux t'amuser à parcourir ce blog, tu sauras ce que je pense de FO. :-) Quant à la représentativité des syndicats, ah ah ah!

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