J'ai toujours été profondément choqué par la façon dont l’État semble vouloir se défausser de ses responsabilités à chaque drame qui frappe l'école. Pire, au sein de l'institution elle-même chacun s'ingénie à rejeter sur autrui, de préférence au bas de l'échelle, les fautes réelles ou imaginaires du système.
Si un enseignant ou un directeur d'école se suicide dans sa classe, c'est forcément, d'après nos gouvernants ou les administrateurs de l’Éducation nationale, parce qu'il ou elle avait "des problèmes personnels". Certes. Pour en arriver à se tuer, il ne faut pas être bien dans sa peau. Mais se donner la mort sur son lieu de travail serait donc anodin, et fortuit? C'est ainsi qu'avant toute enquête policière, dans les minutes suivant la découverte du corps d'un infortuné collègue, on a pu entendre des Directeurs Académiques la bouche en cul de poule annoncer que l'institution n'y était pour rien. Ben voyons.
Dans le drame qui nous frappe tous aujourd'hui, et qui endeuille nos débuts de vacances, nous assistons à la même litanie. "L'agresseur est folle", nous dit-on. C'est même un ministre qui nous l'annonce, comme si cela excusait tout, et pouvait réconforter une famille durement frappée, deux jeunes enfants qui seront définitivement privés de leur mère, une équipe enseignante profondément choquée, toute une profession atterrée.
Mais pourtant c'est bien son métier qui a tué notre collègue. C'est bien parce qu'elle était maîtresse de Grande Section et que comme chaque jour elle ouvrait sa porte aux familles qu'une détraquée a pu froidement l'assassiner. Et cela personne ne pourra le récuser.
Je n'ai même pas été surpris par ce drame. Je suis le premier à le déplorer, mais depuis des années que j'ai vu le climat scolaire se dégrader je m'attends désormais à tout. Non, ce meurtre ne m'a pas étonné. Mais au-delà de la mort prématurée d'une jeune enseignante, c'est la République qui a été frappée au cœur. L'école est partout la dernière institution présente, les enseignants sont dans notre pays les derniers représentants de l’État présents dans chaque commune et dans chaque quartier. Le drame actuel n'est que la dernière péripétie de la déliquescence de notre Nation qui a abandonné sa population et dont l'école reste l'ultime recours pour espérer échapper à sa destinée. Alors évidemment le prix que mettent les familles dans l'éducation de leurs enfants, le poids de l'école, deviennent quotidiennement plus importants. Et voir se refermer devant son fils ou sa fille la porte d'un ascenseur social défaillant exacerbe forcément les tensions et les responsabilités supposées.
Quand avons-nous laissé le siècle pénétrer dans nos murs? Certainement lorsqu'on a voulu donner aux parents la parole au sein de l'institution scolaire. Cela partait forcément d'un bon sentiment, peut-être même d'une nécessité. Mais que peut faire l'école de bons sentiments? Depuis 1975 qu'ont été créés les comités de parents et les conseils d'école, on a vu petit à petit les familles ou les municipalités vouloir y prendre le pouvoir, en orienter le fonctionnement, et parallèlement perdre ce respect indéniable envers un monde enseignant un peu secret qui depuis un siècle participait de son image. Cette image est bien détériorée. L'école était un sanctuaire inviolé, les enseignants des "savants" respectés, l'école est aujourd'hui une pétaudière ouverte à tous les vents, et les enseignants sont méprisés.
Faudra-t-il refermer les portes des écoles? Je ne peux me prononcer, mais il est urgent d'y réfléchir. Car finalement le bilan des quarante ans de cette accessibilité est peut-être bien maigre. Autant un conseil d'administration ayant un budget à gérer est d'une imparable logique, autant il faut bien admettre que les conseils d'école ne servent pas à grand chose. Sans en refaire un sanctuaire inaccessible, ni imaginer une dévotion absurde, il est temps de penser à sérieusement restreindre l'accès des écoles, comme peut-être celui des collèges et des lycées est restreint. Peut être faut-il faire des écoles des "établissements", avec le fonctionnement en conseil d'administration qui y serait nécessaire, avec le personnel qui devrait y être attaché, avec un secrétariat, une surveillance autre que celle des enseignants ou des directeurs d'école qui ont d'autres tâches et ne peuvent quotidiennement filtrer les entrées de leur école... Peut-être est-il temps d'abandonner l'idée de vouloir absolument conserver au primaire un fonctionnement et un statut hérités de la troisième république, alors que nous vivons depuis bientôt quinze ans au XXIème siècle.
Et puis, pour rebondir sur le mot "statut", il est temps aussi de sérieusement penser à celui des enseignants, comme à celui des directeurs d'école. Le mépris que nous porte la population de notre pays, qui curieusement par ailleurs en général apprécie autant les enseignants qu'elle côtoie qu'elle conchie la profession dans son ensemble, va aussi de pair avec la considération que nous porte notre propre administration. Les professeurs des écoles ne sont rien, les directeurs d'école sont encore moins, nous sommes tous payés de façon lamentable pour ne pas dire méprisable. Comment pourrions-nous attirer quelque respect que ce soit quand le premier petit con qui deale dans son coin se déplace impunément en BMW? Il va falloir que la France en mette un sacré coup si elle ne veut pas que son école publique devienne un no man's land inefficace réservé aux plus pauvres des pauvres... et aux enfants d'instits. Certains réclamaient -ou réclament encore- un statut pour les parents d'élèves; certains syndicats réclament un statut pour les AVS ou EVS ou autre sigle qui change chaque année... Un statut pour les psychologues, un statut pour les Conseillers Pédagogiques, un statut pour les Maîtres-Formateurs, un statut pour untel, un statut pour tel autre... Mais pour les enseignants? Et surtout pour les directeurs d'école, qui font face aux feux croisés d'une administration tatillonne et des revendications de leurs collègues ou des familles? Non, surtout pas, il n'en est pas question.
Le référentiel-métier des directeurs d'école va peut-être changer la donne. Je l'attends, je l'espère. Cela ne résoudra néanmoins pas la faillite générale d'un système cacochyme et exsangue. Il faut d'ores et déjà aller plus loin, plus haut, plus vite, la France ne peut pas se permettre de sacrifier son système scolaire et sacrifier son avenir. Sinon l'assassinat de cette enseignante sera aussi bel et bien le signal de la mort de l'école.
J'adresse à la famille, à son mari et aux enfants de notre pauvre collègue toutes mes condoléances. Elles ne serviront pas à grand chose, mais elles sont sincères. J'aurais aimé que vous puissiez ensemble profiter de ces vacances. Ce ne sera pas le cas, j'en suis profondément attristé. Je pense à vous.
Analyse pertinente d'un choix politique dont les conséquences sont bien plus sournoises que cela puisse paraître. Les Conseils d'école, au mieux, ne servent à rien, au pire, sont de véritables pétaudières.
RépondreSupprimerEn tant que symbole de la République laïque, l'école est le réceptacle des frustrations de notre société. Comme vous le dites si bien, l'École est à la fois plébiscitée et conchiée par nos concitoyens, ce comportement schizophrène est entretenu par la classe politique.