L'arrivée du mois de juin est aussi l'arrivée des désillusions. Alors que depuis un an vous dirigez votre école d'une main de fer dans un gant de velours, voilà que tout semble partir en couille.
Vous aviez prévu une sortie de fin d'année avec vos élèves, une classe verte ou autre; vous avez avec conscience rempli un dossier de soixante-douze pages recto/verso décrivant par le menu, seconde par seconde, ce que vos disciples vont faire -la douche à 18h52 pendant huit minutes surveillée par un parent auquel consciencieusement vous avez réclamé un extrait de casier judiciaire, repas au cordeau avec le mardi soir coquillettes et escalopes de dinde, ramassage de coquillage le mercredi matin encadré par un pêcheur du coin breveté d'état (photocopie du brevet incluse)...-; voilà que votre administration se comporte au dernier moment avec vous comme une belle-mère pénible, et vous prévient deux jours avant le départ que la confection de cerfs-volants en paille de riz du mardi matin n'est pas autorisée, sans explication bien entendu, alors que vous aviez même prévu la présence des pompiers au cas où un élève allergique au riz ferait un œdème de Quincke.
Vous avez l'impression que vos élèves ne savent plus rien. Manifestement depuis le début de l'année ils ont passé leur temps à jouer au morpion dans votre dos car les apprentissages de septembre à avril n'ont laissé aucune trace visible. Il faut dire que papa et maman ayant fait leur réservation à Trifouillis-Plage ou Keroec-Crabe, le corps de vos élèves est présent mais leur tête est déjà dans le sable ou les rochers...
Vos adjoints sont pénibles. Excités par les grèves, les commentaires Facebook sur l'école et le mouvement -même ceux qui n'y ont pas participé-, ils n'écoutent plus vos demandes, sont en retard pour la surveillance de récréation, vous snobent en salle des maîtres où ils se font des messes basses en vous regardant d'un œil torve. Plus personne ne lave sa tasse à café.
Tous les enfants de l'école sont excités voire insupportables. Les récréations sont des moments de pugilats multiples, quand ce ne sont pas deux de vos CM qui se lèvent en plein milieu d'une leçon pour aller se castagner en fond de classe, supportés chacun par une moitié de classe (rigolez pas, je l'ai vu, ça! Vingt ans après je n'en reviens toujours pas.).
En cycle 3, c'est le temps où vous devez ouvrir systématiquement vos fenêtres de 9h à 11h30 pour assainir l'atmosphère: une classe de CM2 en fin d'année, ça pue. Eeeeh oui, vos élèves sont maintenant des pré-ados!
Si vous êtes en maternelle, c'est l'époque où la libido de vos bouts de choux, exacerbée par le soleil, fait que vos petites gamines habillée de 30 cm² de tissu montrent toutes avec allégresse leur culotte, quand les petits garçons se planquent où ils peuvent pour comparer leurs zizis. Une fois, c'est rigolo, mais à force ça lasse. Surtout quand ça fait trente-six ans que ça dure... Braillez! En général, ça arrange un peu les choses momentanément, et surtout ça fait le plus grand bien au directeur.
Évidemment, votre connexion internet plante le jour où vous faites les admissions. Pas grave, les parents ont tellement les jetons qu'ils ne s'en rendront pas compte.
Affelnet est définitivement une merde ingérable. Et inutile. Mais vous restez malgré le soleil un bon fonctionnaire, alors vous fonctionnez. Et vous suez aussi, parce que votre bureau de 6 m² n'est pas climatisé.
Courage mes frères, courage mes sœurs, en vérité je vous le dis c'est l'heure de tirer sur la laisse! Vous aviez en avril tourné le poing d'un quart de tour pour visser tout ce petit monde, il est l'heure d'un quart de tour supplémentaire, et de tirer le tout pour que rien ne lâche. Si vous êtes une vieille directrice (pardon, une directrice confirmée) ou un vieux directeur (pardon, un directeur expérimenté), rappelez-vous les années précédentes: c'était kif-kif, et vous êtes fièrement arrivés début juillet certes épuisé, mais avec la profonde satisfaction du devoir accompli. Réitérez! Si vous êtes une directrice ou un directeur débutant, ou jeune dans la mission, apprenez à ne rien laisser passer, sinon vous risquez de mauvaises surprises. Un conseil: ne faites confiance à rien ni à personne, soyez partout l’œil alerte et vigilant pour éviter les accidents, utilisez vos talents reconnus de fin limier pour récupérer les demandes de matériel qui ne vous ont pas encore été rendues pour les commandes de fin d'année.
Nous arrivons en juin, nous tenons le bon bout... Ne le laissez pas glisser de vos mains!