dimanche 3 mai 2015

Individualiser...

La réforme des programmes du collège, pourtant minime, agite beaucoup le microcosme intellectuel français en ce moment. Et pas que lui, tant il est vrai que la France compte 66 millions de spécialistes en éducation, comme le rappelle Philippe Watrelot dans son dernier bloc-notes. Mais le nombre des agitateurs -car il ne s'agit que de ça- qui profitent de la réformette pour se montrer est étonnant. On nous a même sorti Régis Debray de la naphtaline! Ils sont nombreux à raconter n'importe quoi, qui colportent les rumeurs les plus idiotes ou des mensonges éhontés, montrant ainsi surtout qu'ils n'ont pas lu le projet des nouveaux programmes. Car ce n'est qu'un projet, ce qu'a beau jeu de rappeler Michel Lussault dans "Les échos" en expliquant que ce projet est amendable et que la formulation doit en être améliorée. Bref, on sent derrière ce dénigrement systématisé qui fleure bon les fameux "éléments de langage" célébrés par certain gouvernement dit "de droite", sinon une campagne politique organisée par "Le Figaro", du moins une grande partie des maux qui gangrènent notre pays: corporatisme, égoïsme, conservatisme... Les enseignants eux-mêmes ne sont pas en reste, qui cultivent le chacun pour soi et la défense de leur pré carré disciplinaire. Ce ne sont que lamentations, protestations, gémissements divers. Les enseignants ont pourtant les moyens de s'y retrouver, dans ce projet. A condition de savoir se remettre en question. Je ne les condamne pas pour autant, je crois qu'une grande partie de ceux qui protestent aujourd'hui, en dehors des corporatistes invétérés comme les syndicalistes du SNES -ne touchons à rien, nos statuts sont menacés!-, ne donnent que l'écho de l'abandon dans lesquels on les a laissés depuis quelques lustres. Quand on ne les a pas tétanisés à grands coups d'évaluations normatives, ou de qualificatifs outrés: profiteurs, nantis, privilégiés...

Je me bagarre depuis quelque temps sur les réseaux sociaux et autres forums pour défendre ce projet (ici par exemple). Comme j'ai défendu les excellents nouveaux programmes de la maternelle, et comme je regarderai avec attention le projet de ceux de l'élémentaire. C'est une de mes réponses à un billet récent qui motive l'article que je suis en train d'écrire. Car le sens de la rénovation nécessaire du collège est celui que je défends pour l'enseignement en général, comme pour ma mission de directeur d'école en particulier.

Car enfin que demande-t-on à l'enseignement? Qu'il soit efficace. Le constat est qu'il ne l'est pas. Enseignant du primaire je vois une partie appréciable des élèves qui le quitte sans avoir acquis certaines "bases" du langage ou des mathématiques, ce qui creuse déjà un écart avec leurs condisciples. Cet écart s'accentue tant au collège que nombreux sont ceux qui "lâchent". On peut raisonnablement considérer que l'enseignement se disperse, au nom des "humanités" et de la culture générale, au détriment des disciplines primordiales comme l'accès au langage et à ses pleins compréhension et usage. On me rétorquera qu'il ne faut pas envisager un enseignement à "deux vitesses" parce que ce ne serait pas "égalitaire". A mon sens l'équité serait au contraire d'envisager un enseignement à autant de vitesses qu'il y a d'élèves, ce qui implique que ceux qui peuvent accéder à des savoirs complémentaires doivent y avoir droit, mais également que ceux qui ne peuvent pas doivent avoir l'assurance de recevoir un enseignement de base efficace. Dans certains pays de l'OCDE c'est ce qui a été compris.

C'est une révolution de la façon dont nous considérons nos élèves et un enseignement de masse qu'il nous faut envisager, je pense sérieusement que cette toute petite réforme du collège en est un premier pas -qui ne va d'ailleurs pas assez loin tant la force d'inertie de l’École est grande-. Ce n'est pas une question disciplinaire, ni d'abandon de quoi que ce soit, ni... c'est l'idée que l'enfant est le premier moteur de ce qu'il apprend, et qu'il en est aussi souvent la première victime.

Car si on peut dans un sens légitimement considérer que tous les enseignements, toutes les disciplines, sont indispensables, combien le sont-elles vraiment aujourd'hui pour le commun, ou la majorité, des français? Et je ne mets dans ce mot "commun" aucune valeur appréciative. Je constate simplement qu'il est souvent plus facile par exemple d'apprendre une langue quand adulte on en a besoin, que c'est très rapide, et concentré sur le langage parlé et le jargon professionnel. Je constate que le latin dont j'ai pris le goût pendant de longues années ne m'est aucunement utile, sinon pour sortir à bon escient de temps à autre une citation -en revanche je pense qu'il me fut une bonne formation logique-. L'est-il vraiment pour ceux qui ne se destinent pas à des lettres classiques? Pour les sciences ou la pharmacie peut-être... Certainement pas, un nom latin est un nom, simplement, qu'on apprendra comme autre chose. Je pourrais multiplier les exemples à l'infini, et tout autant les exemples de mes millions de compatriotes qui ne maîtrisent ni la compréhension ni l'usage de leur propre langue faute d'un enseignement en français qui leur fut adapté et surtout efficace. Combien ont-ils appris de choses jusqu'à leur éventuel bac qui leur sont totalement inutiles et que fatalement ils ont aujourd'hui oubliées? Combien de temps, combien d'années ont-ils perdu? Combien de temps se sont-ils ennuyés? Non, aujourd'hui, on ne peut plus se passer d'individualiser l'enseignement.

C'est ce qui est fait en maternelle. J'explique régulièrement à tous les jeunes enseignants qui passent dans mon école que ce n'est pas ce qu'ils ont prévu dans la journée qui compte, que ce n'est pas d'avoir une fiche photocopiée de plus dans un classeur d'élève. Ce qui compte, c'est que chaque travail, chaque action, chaque réflexion, soit compris, assimilé, réussi. Le travail du maître ou de la maîtresse, c'est de faire réussir tous ses élèves dans les fondamentaux, c'est de ne laisser personne en déshérence. Et ça fonctionne quand on prend le temps nécessaire, sans dispersion, sans activisme forcené.

Cette façon de faire prend pied doucement en élémentaire -pas assez vite à mon goût, mais certains freinent des quatre fers pour une question de confort et parce qu'on les a tétanisés avec des évaluations normées généralisées idiotes-. C'est évidemment aussi ce qui est indispensable au collège. Au même titre qu'ânonner ou déchiffrer n'est pas lire, remplir le cerveau de notions mal maîtrisées, et qui seront rapidement oubliées car elles ne reposent que sur des bases instables, est une idiotie. L'enseignement doit prendre de le temps de sa compréhension et de sa pleine assimilation. On est évidemment dès lors confronté à une hétérogénéité qui ne fera que s'accentuer avec le temps, ce qui n'enlève aucune richesse individuelle mais ne peut au contraire que la conforter. On est loin du nivellement réclamé depuis toujours aux enseignants par l'institution. Et je comprends que cela puisse être perçu comme inconfortable. Et alors? Qu'est-ce qui compte? Le confort des enseignants et de l'institution, ou l'épanouissement intellectuel de nos élèves?

Le projet de réforme est un premier pas, fort léger et peu appuyé, en ce sens. C'est le bon sens.

Il faudrait alors généraliser l'idée. Si je prends l'exemple de ma mission de directeur d'école, je constate qu'elle est aujourd'hui confiée à n'importe qui n'importe comment. Oh certes il existe un entretien "d'embauche" et une liste d'aptitude, mais celle-ci ne tient aucunement compte de certaines compétences indispensables aujourd'hui aux directeurs d'école, ni des spécificités des écoles où les directeurs seront affectés. Seuls les postes en réseau prioritaire (REP ou REP+) sont aujourd'hui considérés comme "à profil". C'est un tort, chaque école de chaque commune réclame des compétences différentes. Et d'abord évidement une forte habileté diplomatique, comme de claires aptitudes à la communication. 80% des problèmes rencontrés par les directeurs d'école aujourd'hui sont liés à une absence de communication, ou à un conflit souvent absurde avec un partenaire, famille ou municipalité.

Au même titre que chaque élève a des besoins particuliers différents de ceux de ses condisciples, chaque école a des besoins de gestion spécifiques. Chaque poste de directeur d'école est un poste "à profil" qui ne devrait être pourvu qu'après une bonne appréhension de son terrain et une formation préalable adaptée. Et certainement pas dans un "mouvement" qui offre une direction d'école au premier qui la demande, débutants et stagiaires compris si personne d'autre n'est intéressé. Je ne doute pas une seconde que certains y parviennent, mais combien sont rapidement dégoûtés, ou en conflit qui avec un enseignant, qui avec le Maire de la commune, qui avec une famille... Absurde.

J'ai tellement râlé depuis 2012 contre la "refondation" que je peux aujourd'hui, sans me sentir coupable ni passer pour un naïf, constater que beaucoup de ce qui en est le fruit va dans le sens de ce que je pense que l’École doive devenir. De nombreux pays ont fait leur aggiornamento, pourquoi la France ne le pourrait-elle pas? Cela prendra du temps comme cela en a pris au Canada ou dans les pays scandinaves. Il ne faut par refuser systématiquement pour des raisons douteuses ou égocentriques de petits changements qui doivent à mon sens lancer une dynamique constructive qui nous est indispensable. C'est l'avenir de notre profession, et surtout celui de nos enfants, dont il est question. Cela mérite certainement mieux que des polémiques comme celles que l'on observe aujourd'hui.

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