jeudi 16 août 2012

Comment les syndicats vont tuer l'école...


Certains syndicaux profondément sclérosés -par une vision post-communiste et illusoire d'une école autogérée-, je veux dire ceux affiliés à la FSU, refusent obstinément de voir que les directeurs d'école font aujourd'hui un métier différent de celui de leurs adjoints, et n'admettent pas l'idée d'un statut qui les en différencierait. Soit. Mais ce refus enfonce chaque jour un peu plus l'école française dans la mouise, et porte dans ses bagages une menace beaucoup plus insidieuse et violente, menace qui se précise quotidiennement, et annonce la mort de l'école telle que nous la connaissons. Cette menace porte plusieurs noms, et c'est le sénateur Jean-Claude Carle qui l'a le mieux définie dans son rapport d'information du 21 juin 2011. Certes, me direz-vous, les élections présidentielles sont passées par là. Le problème est que la proposition avancée par M. Carle est simple à mettre en œuvre, économique, et surtout soutenue par des élus de tous les bords politiques! Elle consiste à régler le problème de l'école primaire en soumettant celle-ci aux collèges de leur secteur. C'est pour moi le pire cauchemar que je puisse faire quant à l'avenir de notre école! L'idée de l'inféoder au collège, qui reste le maillon faible de l' Éducation Nationale, me révulse. Quel est donc l'intérêt pour un syndicat de l'école primaire de la laisser s'enfoncer dans un tel caca d'incompétence? C'est un simple calcul politique que je vous dévoilerai en fin de billet. Mais laissons parler M. Carle...

C'est un fait bien connu que les écoles ne disposent pas aujourd'hui du statut d'établissement public, contrairement aux collèges et aux lycées. Dépourvues de personnalité juridique, elles ne disposent ni de l'autonomie administrative, ni de l'autonomie financière. Le budget et la sectorisation relèvent du conseil municipal, tandis que les inspecteurs d'académie et les recteurs gèrent les affectations d'enseignants et les questions pédagogiques. L'autorité hiérarchique sur les enseignants est exercée au plus près par les inspecteurs de l'Éducation nationale, ce qui les rapproche des chefs d'établissement du second degré.
Cette organisation est peu propice au développement d'un effet établissement appuyé sur l'émergence d'une dynamique des équipes pédagogiques autonome, responsable et évaluée, ce que la mission -encore une fois- considère comme essentiel pour améliorer les résultats des élèves et les performances globales du système éducatif.
En outre, elle tend à se traduire par des différences de traitement importantes, en termes de moyens alloués par la collectivité territoriale, les budgets de fonctionnement et d'investissement étant très variables d'une commune à l'autre.
Tant en termes d'efficacité pédagogique, d'efficience financière que d'équité, le défaut de structuration du premier degré et, corrélativement, la faiblesse de l'animation pédagogique locale sont préjudiciables.
Dans le but d'améliorer le fonctionnement des écoles, notamment en milieu rural, et d'instituer un véritable pilotage pédagogique local, susceptible d'accroître la réactivité du système éducatif, l'article 86 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales prévoyait la création à titre expérimental d'établissements publics d'enseignement primaire (EPEP). Les établissements publics de coopération intercommunale ou plusieurs communes d'un commun accord, ou une commune, pouvaient, après avis des conseils des écoles concernées et accord de l'autorité académique, mener, pour une durée maximum de cinq ans, un regroupement d'écoles au sein d'une structure institutionnelle commune.
Il s'agissait ainsi d'accroître les synergies entre les écoles et de mutualiser leurs moyens sans avoir à faire disparaître les sites physiques où se déroulaient les cours. Le conseil d'administration de l'EPEP devait comporter des représentants des collectivités territoriales, des enseignants et des parents d'élèves, sur le modèle des établissements du second degré. L'ensemble des parties prenantes auraient été ainsi associées au fonctionnement du nouvel établissement public, ce qui aurait notamment permis de resserrer la coopération entre les communes et l'Éducation nationale, et de progresser vers l'exercice concerté des compétences de chacun. Cette expérimentation était cependant soumise à la publication d'un décret en Conseil d'État précisant les règles d'organisation et de fonctionnement des EPEP, qui n'a toujours pas été publié. Votre rapporteur a de nombreuses fois déploré l'inaction du ministère de l'Éducation nationale, qui a empêché la mise en œuvre d'initiatives novatrices voulues par le législateur.
Une proposition de loi relançant la création d'EPEP a été déposée à l'Assemblée nationale en octobre 2008, mais elle n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour. Un rapport remis au Premier ministre en septembre 2010 par l'un des signataires, M. Frédéric Reiss, propose de relancer une expérimentation d'établissement public du primaire (E2P) dans les écoles de 14 classes et plus, sans imposer des modalités décidées en amont mais en labellisant des projets portés et façonnés par les acteurs locaux. Cette piste est intéressante, même si votre rapporteur regrette le temps déjà perdu depuis 2004 et espère que cette initiative ne restera pas lettre morte comme les précédentes, alors que l'ampleur de la réforme pédagogique entreprise dans le primaire appelle plus que jamais une redéfinition parallèle de la gouvernance.
Le projet d'EPEP ou d'E2P ne s'est pas encore réalisé sous la conjonction de différents facteurs qu'il faut prendre en considération : l'inertie du ministère qui, longtemps, n'a pas fait du primaire sa priorité budgétaire ni pédagogique ; l'hostilité des professeurs des écoles et des élus rassemblés dans l'Association des maires de France(AMF) qui se sentent directement contestés dans l'exercice de leurs fonctions traditionnelles ; la difficulté de doter les petites écoles de trois classes ou moins d'un statut adapté en réalité adéquat pour des structures plus importantes ; le traitement délicat des regroupements pédagogiques intercommunaux, concentrés ou dispersés, adossés ou non à un EPCI. Ces résistances et ces difficultés réelles incitent bien à rester dans une démarche expérimentale volontaire, en la réservant à des écoles ou des groupements de taille critique, sans l'imposer aux acteurs de terrain, ni trop la normer dans le détail. Ces principes, déjà posés par le législateur en 2004, restent plus que jamais valables et la mission les reprend volontiers à son compte.
Reste que l'expérimentation du statut d'établissement public dans le premier degré ne répond pas au souci de favoriser la porosité et la fluidité des apprentissages entre l'école et le collège. Il ne faudrait pas, au contraire, qu'une nouvelle structure administrative vienne renforcer plutôt que gommer la rupture entre le premier et le second degré, en la cristallisant définitivement. Le renforcement de l'autonomie des écoles par une transformation de leur statut ne doit pas aboutir à l'isolement et au cloisonnement des structures. C'est pourquoi la mission propose de compléter l'expérimentation des EPEP, réservés de toute façon à de grosses structures, par la constitution des réseaux du socle commun.
Sur le modèle des RAR, ces réseaux du socle commun réuniraient un collège et l'ensemble des écoles de son bassin administratif de recrutement. En effet, il ne paraît pas justifié de cantonner cette structuration à la seule éducation prioritaire, puisque l'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences concerne tous les élèves. Cette rénovation aurait le mérite de ne pas nécessiter de réforme juridique préalable du statut des écoles pour les doter de la personnalité morale. Elle n'impliquerait que peu de modifications réglementaires, ni de grandes restructurations urbanistiques puisqu'elle n'impose pas de regroupement physique en un seul lieu commun. Elle pourrait donc être mise en oeuvre rapidement à petite échelle.
Un comité directeur rassemblerait le chef d'établissement et les directeurs des écoles du secteur, et associerait les partenaires locaux, tandis que l'IEN de la circonscription et les inspecteurs d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) constitueraient un « pôle externe d'évaluation et d'accompagnement », ce qui reviendrait à une première mouture du projet des RAR. Les réseaux seraient dotés dès leur naissance d'une cible nationale commune, précisément la maîtrise du socle par tous les élèves en fin de 3e, complété par des contrats d'objectifs plus ciblés avec les autorités académiques. Les élèves seraient suivis sur l'ensemble de leur parcours par une même équipe de direction sous la houlette du principal, qui devrait aussi -en concertation avec les directeurs d'écoles- s'engager dans l'animation pédagogique dès le CP. La continuité du parcours de l'enfant deviendrait évidente, sans hiatus. Une pédagogie différenciée et selon des rythmes d'apprentissage différents pourrait se déployer sur le long terme pour résoudre les difficultés scolaires. La stabilité des interlocuteurs sera également précieuse pour les parents, avec lesquels se nouera plus facilement un dialogue dans la confiance réciproque.
En outre, l'échange d'enseignants entre les écoles et le collège, notamment à la charnière CM2-6e, serait facilité. Plus généralement un dialogue sur les pratiques pédagogiques entre professeurs généralistes et spécialistes disciplinaires se nouera, ce qui devrait rendre plus aisée la diffusion de l'interdisciplinarité, de la transversalité et d'une approche par compétences des apprentissages. Ces nouvelles possibilités d'échanges au sein du réseau devraient également se révéler très utiles pour le développement de l'apprentissage d'une langue étrangère en primaire ou l'épanouissement d'activités d'initiation à la démarche scientifique.
La valeur ajoutée d'une meilleure articulation entre école et collège hors éducation prioritaire est d'ores et déjà recherchée par les acteurs de terrain. Ainsi, le recteur de l'académie de Versailles, M. Alain Boissinot, a annoncé que son académie expérimenterait cinq écoles du socle commun à compter de la rentrée 2011 : « Il est essentiel d'avancer sur la relation premier degré-collège. Les dispositifs RAR et Clair ont permis d'aller dans ce sens. Et l'académie expérimentera dès la rentrée prochaine sur cinq sites des « écoles du socle commun » afin que collèges et écoles travaillent le plus étroitement possible, qu'ils puissent échanger leurs enseignants. » Des professeurs des écoles pourront notamment se rendre en collège et être chargés de l'accompagnement éducatif et des enseignants de collège pourront assurer l'aide individualisée, en classes de primaire.

Qui peut sérieusement croire à un "dialogue" entre le primaire et le secondaire, surtout dans un "comité directeur" chapeauté par des IEN et des IA-IPR? D'ailleurs, M. Carle précise sa pensée plus loin dans son rapport, puisqu'il précise que

associés au comité directeur du réseau, ils [NDR: les directeurs] deviendraient les relais du principal de collège dans les écoles et pourraient éventuellement être assimilés à des adjoints du chef d'établissement.

Voilà qui est on ne peut plus clair. Adieu l'indépendance pédagogique, dans le fonctionnement ou dans les projets. Adieu l'attention portée au contexte local. Mettre les écoles primaires sous la coupe des IEN et des enseignants du secondaire, dont l'incompétence pédagogique en général est pourtant notoire, et donc renoncer à l'autonomie de fonctionnement des écoles, voilà pourtant ce que veulent les syndicats de la FSU, et en particulier le SNUipp. C'est logique, le gros des troupes de la FSU est constitué d'enseignants du secondaire qui aimeraient croquer la belle pomme des enseignants du primaire, et ainsi phagocyter leurs syndicats, comme le gâteau de la représentation syndicale l'implique aujourd'hui. L'époque n'est plus à la dispersion, mais au regroupement. Le SNUipp milite donc volontairement, mais surtout sans le dire, pour la disparition de l'école primaire, et pour sa propre dissolution dans le syndicalisme des lycées et collèges...

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