samedi 14 décembre 2013

Le temps des questions...


Après les annonces faites jeudi par M. Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale, je sens de nombreux collègues directeurs désorientés, et qui ne savent quoi penser. Faut-il se réjouir? Faut-il se lamenter? Les syndicats communiquent peu, et semblent également pour certains ne pas savoir sur quel pied danser. Je vais essayer de clarifier tout ça.

Le GDiD a fort intelligemment il y a quelques années voulu séparer ce qu'il appelle "l'être" de "l'avoir". En gros, l'idée était que la reconnaissance institutionnelle devait et ne pouvait que précéder la reconnaissance en terme de moyens. C'était puissamment raisonné. Et c'est également ce qu'a voulu faire le ministre dans ses propositions, en cette période budgétairement difficile. Je n'aborderai pas ici la question de la façon de faire des économie structurelles, ce n'est pas le propos de ce billet et j'ai déjà abondamment donné la solution.

M. Peillon crée donc un Grade à accès fonctionnel, ou GRAF, dans lequel seront versés les directeurs d'école ainsi semble-t-il que les Conseillers pédagogiques. Les questions sont nombreuses car aucun détail sur ce grade ne nous est donné par le ministère: combien d'agents y accèderont-ils, dans quelles conditions, quelle en sera l'échelle de rémunération... ? Pour l'instant nous n'en savons rien, mais l'important est ailleurs. La création de ce GRAF, pour la première fois, distingue les directeurs des autres professeurs des écoles.

Nous venons de très loin. Depuis des décennies les directeurs pointent les difficultés grandissantes de leur mission; depuis des décennies ils démontrent quotidiennement qu'ils font un métier spécifique qui n'a plus rien à voir avec la direction d'école il y a seulement trente ans. Avons-nous été accompagnés dans cet appel? Très peu. Quelques syndicats (SE-Unsa, SNEP-Faen...) sont depuis longtemps conscients du problème et essayent de travailler dans le sens de la reconnaissance. Mais il a clairement fallu la création du GDiD pour que la revendication d'un statut pour les directeurs d'école prenne corps et précède les revendications sur les moyens. Car les réticences étaient nombreuses, et la majorité des centrales syndicales était opposé à ce qu'on reconnaisse la spécificité du métier de directeur d'école. Combien de fois, depuis quinze ans, avons-nous entendu parler de "caporalisme", de "petites chefs"? Afin de contrer cette idée, les syndicats n'ont eu de cesse de mettre en avant les "moyens" nécessaires à l'accomplissement de notre mission, moyens certes importants mais dont la revendication permettait fort opportunément d'occulter la dimension particulière de notre travail et la nécessité de le reconnaître institutionnellement et juridiquement.

Car la GRAF, s'il n'est pas un statut, s'en approche fort grâce aux discrets outils qui l'accompagnent. La carrière des directeurs d'école va devenir spécifique avec une formation particulière, une validation des acquis de l'expérience, des points d'ancienneté pour les années de direction... De plus, la mission va désormais être mieux définie avec des textes réglementaires précis, opposables, qui vont nous armer clairement vis à vis de la société civile et de notre propre administration.

C'est politiquement très finement joué de la part de M. Peillon. Car dans ses propositions rien n'est en l'état "refusable" par les syndicats, même s'ils voient certainement clairement que ce début appellera rapidement une suite. S'il n'y a pas création d'un corps particulier de directeurs d'école, rien ne s'y opposera par la suite tant techniquement la définition de ce que va être le directeur d'école maintenant en est proche. Est-il de toute façon opportun de créer un nouveau corps dans l’Éducation nationale? Ce ministère est déjà un tel foutoir... Et il existe déjà un corps de chefs d'établissement, dans lequel passent chaque année avec succès de nombreux directeurs d'école qui s'orientent vers le secondaire. Il faut dire qu'il n'y a que très peu de différence entre le travail d'un principal de collègue et celui de directeur d'une grosse école. Ah si, tout de même: le dirlo est tout seul et fait ce qu'il peut, alors que le chef d'établissement est bien accompagné d'une intendance, d'un secrétariat, etc. L'idée de transformer les directeurs des écoles importantes en chefs d'établissement ne me semblerait pas délirante, bien au contraire.

Si les syndicats voient clairement l'orientation prise dans les propositions de M. Peillon, pour autant ils préfèrent ne pas les commenter, et se contentent logiquement d'en pointer les insuffisances en termes de moyens. Il faut dire que leur position n'est pas facile. Tous les sondages montrent qu'aujourd'hui la profession enseignante dans sa grande majorité fustige la position intenable des directeurs d'école, leurs responsabilités insurmontables, leur travail incommensurable. Tous les enseignants du primaire admettent aujourd'hui qu'être directeur d'école est un choix infernal, une position compliquée, sans reconnaissance, sans droits et sans moyens. Dire le contraire serait pour une centrale syndicale suicidaire, d'autant que la puissance d'internet aujourd'hui permet de contrer immédiatement ce genre de position, d'en démontrer l’absurdité et d'en démonter le mensonge. Je ne me prive pas de le faire, d'autres non plus comme le GDiD qui s'y emploie quotidiennement depuis bientôt quinze ans. Les syndicats n'ont donc pas le choix, ils doivent admettre que le changement est nécessaire. Mais certains comme le SNUipp ou FO ne se sentent pas obligés de communiquer à ce propos. Et comme pour l'instant les moyens financiers ne suivent que très peu, il leur semble opportun d'axer là-dessus leurs critiques, en nous jouant comme toujours du pipeau sur l'air de "tout ça pour ça".

Ne nous y trompons donc pas: ce que M. Peillon nous propose aujourd'hui est bien un changement majeur dans la reconnaissance de la direction d'école. Non, ce n'est pas un statut, pas encore, mais c'en est extrêmement proche, et c'est nettement plus que ce que je pouvais espérer dans les conditions actuelles. Je suis surpris, voire épaté, que Monsieur le Ministre ait réussi à entrebâiller si délicatement la porte, qui ne demande désormais qu'à s'ouvrir en grand. Je l'en félicite d'autant plus que je n'y croyais pas. Mais le fait est acquis.

Il reste évidemment maintenant à définir les contours de la chose, contours qui restent flous pour l'instant mais ne tarderont pas à se préciser. Il reste également à donner à notre mission les moyens qui lui sont nécessaires. Il est vrai que les quelques aménagements indiciaires que le ministère nous propose sont un peu humiliants, mais peut-être faut-il y voir la marque d'une prise de conscience, un moyen de nous dire "oui nous savons que vous n'êtes pas payés à la mesure de ce que vous faites, mais pour le moment nous ne pouvons pas faire mieux"... J'ai envie de le prendre de cette façon. D'autant que c'est plutôt de temps que nous avons besoin, et de ce point de vue le ministre nous propose tout de même un plan sur trois ans pour améliorer le régime des décharges -y compris pour les petites écoles! C'est là une vraie nouveauté et une vraie prise de conscience!-. Certes ce n'est pas Byzance, mais en période de vaches maigres c'est un effort qu'on peut légitimement souligner.

Il reste du boulot. Chers collègues, nous ne sommes pas sortis de la mouise. Mais on nous tend une branche pour nous aider à nous extirper de la fange. Pour ma part je la saisis même si elle est très mince. Et je remercie celui qui nous la tend. Je continuerai à défendre la nécessité de moyens accrus pour le métier de directeur d'école, bien entendu. Les APC par exemple me restent en travers de la gorge, comme l'aide personnalisée en son temps. Mais faire la fine bouche me parait incongru alors qu'enfin mon métier est reconnu. Merci donc, M. Peillon, merci à vos équipes qui ont été attentives aux voeux et propositions du GDiD qu'elles ont rencontré de nombreuses fois. Nous ne nous en tiendrons pas là, bien sûr, mais nous pourrons désormais discuter avec confiance car nous savons que vous savez écouter et comprendre. Et puis, M. Peillon, en toute franchise, que d'évolution depuis votre malheureuse intervention d'octobre 2012...

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