samedi 15 février 2014

Un tissu à découdre...


Je viens de lire avec un certain plaisir le dernier bloc-notes de Philippe Watrelot. D'abord parce qu'il y exprime en partie ce que je clame, réclame et proclame depuis des années, et depuis deux ans sur ce blog, ensuite parce qu'il apporte quelques arguments supplémentaires qui je le pense font "mouche"!

Philippe Watrelot évoque en avant-propos la fumeuse question du gel de l'avancement des fonctionnaires qui avait inopinément surgi la semaine dernière et que j'avais évoquée ici. Il le fait en termes très efficaces:

Rumeur ou ballon d’essai ? On sait que c’est une pratique malheureusement assez courante chez les politiques de tester une idée en petit comité, de laisser “fuiter” et de voir ce que ça provoque comme réactions. Mais on peut aussi se demander si la rumeur n’est pas utilisée pour déstabiliser.

Philippe Watrelot a raison. Je crois personnellement à une imprudence de langage exploitée fort à propos par des journalistes pour des raisons électorales, ou pire pour vendre du papier. Car notre ministre -qui a d'ailleurs rapidement démenti, comme vient de le faire le Premier Ministre- sait qu'il serait contre-productif d'appauvrir les enseignants français qui sont déjà les moins bien payés de toute l'OCDE, ce qui pose actuellement d'énormes problèmes de recrutement comme de fonctionnement. Et puis évidemment démoraliser un peu plus une profession déjà au fond du trou ou du "burn-out" -pour utiliser un terme très à la mode- n'apporterait rien à la profonde rénovation dont le système éducatif français a besoin ni à la nécessaire évolution du statut des personnels fonctionnaires de l’Éducation nationale. Mais le fond, comme le souligne justement Philippe Watrelot -et c'est ce qui fait le principal de son bloc-notes-, reste bien la question des économies nécessaires sur le budget global de l’État, et évidemment sur celui de l’Éducation nationale qui engloutit de façon parfois absurde des sommes phénoménales. La comparaison avec l'Allemagne, pays frontalier et similaire sur le plan éducatif, est logique et particulièrement frappante, même si concrètement il est difficile d'obtenir pour cette nation amie certains chiffres détenus par les "länder" dont la compétence éducative est importante. On peut d'ailleurs prolonger la question en l'amenant sur un plan politique plus large dont je suis friand, celui de la compétence des régions ou régionalisation comme on dit par chez nous, qui est je pense à terme l'avenir de notre Nation. Mais c'est un débat qui n'est pas forcément du propos de ce blog... ou pas entièrement bien que depuis longtemps je réclame que soit mis fin au jacobinisme centralisateur et parisien qui règne au ministère de l’Éducation nationale.

Philippe Watrelot écrit au sujet de l'Allemagne:

Des établissements moins nombreux et deux fois plus grands en moyenne. On pourrait réduire le nombre d’établissements en France et réaliser ainsi des économies d’échelle.

Cela va totalement dans mon sens. J'ai déjà largement expliqué dans plusieurs billets que la France ne peut plus se permettre de maintenir 54000 écoles, autant de danseuses mises en porte-à-faux par l'efficacité que montrent partout les établissements qui ont déjà été regroupés, où s'élaborent avec bonheur de nombreux projets innovants grâce à la synergie pédagogique et de moyens qui y règne. Ma propre commune d'exercice, je l'ai déjà écrit, pourrait sans souci regrouper ses deux petites écoles élémentaire et maternelle pour un meilleur usage des locaux et matériels, une meilleure coordination entre les cycles, le tout au grand bénéfice des élèves. Encore faut-il évidemment qu'un regroupement soit territorialement logique, et je crois que cela devrait pouvoir se faire à la demande des communes elles-mêmes sans attendre une quelconque volonté administrative. Philippe Watrelot ajoute à cette considération plusieurs arguments imparables:

Au passage, on soulignera que des établissements plus grands touchant plusieurs communes peuvent aussi permettre une plus grande mixité sociale.

... et plus loin:

Il y a un personnel administratif pour 8,5 enseignants dans le public. On pourrait atteindre des ratios d'encadrement plus bas. Concernant ces personnels de gestion, leur coût est estimé par l'OCDE à 3,5 milliards d'euros par an contre 0,9 en Allemagne. C'est, là encore, lié au nombre beaucoup plus élevé des établissements. Une économie substantielle sur ce poste de dépense est possible sans perte de qualité, si des regroupements de moyens sont opérés.

Le premier point rejoint mon commentaire qui l'a précédé. On sait les larges bénéfices de la mixité sociale pour tous les élèves et leur réussite scolaire. Les ghettos éducatifs sont la pire invention de notre société, dans les deux sens. Je les ai moi-même personnellement testés pendant une grande partie de ma carrière, comme j'ai pu également constater le total inintérêt du repli social que constituent certains établissements "d'élite". Cela va certainement à l'encontre du sentiment des familles qui croient que leur enfant réussira mieux dans une "bonne école", ce qui est une idée toute faite. Ne croyez pas en lisant ces mots que je sois un apôtre gauchisant et universaliste à l'optimisme béat. J'ai simplement suffisamment d'expérience de ce métier pour savoir que la personnalité, les compétences et le savoir s'acquièrent ou se construisent mieux lorsque les expériences et les rencontres sont multiples et diversifiées. Enfin à mes yeux tout est bon pour réduire à quia les communautarismes divers et de tous poils ou obédiences qui font tant que mal à notre Nation.

Le second point, concernant la profusion de personnels administratifs et de gestion dans le ministère de l’Éducation nationale, a déjà fait l'objet de nombreux billets de ce blog. Je ne crois pas utile d'y revenir, seulement pour redire combien absurde est la pyramide institutionnelle du système éducatif que j'avais décrite ici il y a un an -schéma à l'appui-. D'autant que, comme l'ajoute à juste titre Philippe Watrelot et que je hurle depuis des années:

Dans un système plus déconcentré et décentralisé et dans une logique d’empowerement des personnels, a t-on besoin d’une lourde structure administrative productrice de procédures et de contrôles a priori qui gênent les initiatives et l’innovation ?

Comme cela est bien dit! Je crois qu'on ne peut pas se rendre compte des freins ahurissants du système quand on ne baigne pas dedans. Mais quand on y est, en plus depuis longtemps...

Philippe Watrelot ne parle pas spécifiquement des directeurs d'école dans son bloc-notes, même si nous y sommes pourtant très présents en filigrane. M. Watrelot semble demander sans l'écrire, comme nous le faisons depuis des années en l'écrivant, la présence dans les écoles de véritables acteurs locaux, coordinateurs pédagogiques reconnus mais néanmoins institutionnels d'établissements plus grands, mieux structurés et surtout autonomes. C'est prêcher un converti, ou peut-être simplement mettre en avant l'évidence du rôle de la direction d'école et son importance, qui ne peut que grandir dans une logique de changement telle qu'elle est décrite. Des écoles regroupées au sein d'établissements primaires ne peuvent avoir à leur tête que des directeurs d'école, personnels déjà reconnus localement autant par les communes que par les familles ou les enseignants, et qui comme professionnels de l'enseignement restent et resteront les garants du rôle premier et indiscutable de l'intérêt pédagogique comme de la réussite scolaire des élèves. Les directeurs d'école, statutaires sont d'ores et déjà les leaders du proche avenir de notre système éducatif. Car je ne doute pas une seconde que cette évidence va s'imposer.

Nous devons donc dès aujourd'hui en partie découdre le tissu institutionnel de l’Éducation nationale, pour mieux rebâtir un nouveau costume. Les prochaines avancées quant au statut des directeurs d'école sont une première étape que nous ne devons pas manquer. Il restera beaucoup à faire. Avec l'aide de nos élus et le soutien des familles, que nous devons convaincre, nous sommes certains de progresser en dépit des obstacles qui sont ou seront mis sur notre route. C'est l'école qui est en jeu, cette école que nous aimons, que nous voulons voir retrouver son efficacité. Nous ne pouvons le faire qu'unis, si possible avec confiance. Et demain la France n'aura plus à rougir.

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