En 2007, l'OCDE effectua une enquête dans vingt-deux pays sur le thème "Améliorer la direction des établissements scolaires", dont le rapport final est
disponible ici.
Le rapport français fut rédigé par Jean-Pierre Obin, Inspecteur général de l'éducation nationale. Je ne pourrais le citer en entier, mais en voici un long extrait qui nous concerne et nous intéresse particulièrement:
"Au-delà des différences réelles entre les métiers de directeur d’école primaire et de chef d’établissement secondaire, un même sentiment de malaise rapproche depuis quelques années ces deux catégories de responsables locaux de l’éducation : l’impression, largement partagée dans les deux professions, d’une accumulation de tâches nouvelles s’ajoutant aux anciennes, dans le cadre d’un environnement social ne cessant de se dégrader ; le sentiment aussi de ne plus pouvoir faire face à la fois aux attentes sociales et aux demandes de l’institution et, surtout, de ne plus pouvoir se consacrer à l’essentiel, à ce qui fait le cœur du métier, aux dimensions pédagogique et éducative de la fonction. Cette similitude des symptômes ne peut toutefois conduire à l’identité du diagnostic et encore moins du traitement, tant les métiers et leur inscription institutionnelle sont différents.
En 1987, une tentative du ministre Monory d’imposer aux directeurs d’école la transformation de leur statut de fonction en un véritable statut, avec une responsabilité hiérarchique sur les instituteurs, tourne court devant la mobilisation organisée par les syndicats, très hostiles à l’éclatement du corps des instituteurs et à la création d’un échelon hiérarchique intermédiaire entre l’inspecteur et l’enseignant. Cette épisode est loin d’être oublié lorsque se développe, dans les années quatre-vingt-dix, le malaise professionnel évoqué ci-dessus, que les syndicats encadrent, à partir de 2000, par un mot d’ordre de « grève administrative », très largement suivi jusqu’en 2006.
En fait, et au-delà d’un accord apparent sur des revendications d’amélioration matérielle, comme sur les régimes de décharges et d’indemnités, la profession semble aujourd’hui divisée sur la question de la création d’un corps spécifique de directeur d’école. Si les syndicats y restent hostiles, ce n’est pas forcément le cas des directeurs eux-mêmes, très minoritaires en leur sein. Un groupe de pression souhaitant les représenter exclusivement, le Groupement de défense des intérêts des directeurs, a commandé une étude à un institut spécialisé, parue en octobre 2006, qui montre notamment que 93 % des directeurs seraient favorables à un nouveau statut, et que 73 % souhaitent qu’il débouche sur la création d’un nouveau corps. En outre cette enquête fait apparaître que 95 % des directeurs estiment que leur travail n’est pas reconnu par l’institution, et 47 % assurent que les syndicats ne défendent pas assez leurs revendications.
La négociation engagée entre le ministère et les syndicats a débouché sur la signature en juin 2006 par le SE-UNSA, syndicat minoritaire parmi les enseignants mais bien représenté chez les directeurs, d’un protocole d’accord qui a été mis en œuvre dès la rentrée de 2006. Les principales mesures décidées par ce texte sont l’amélioration du régime des décharges d’enseignement, une revalorisation des rémunérations touchant à la fois le salaire de base et l’indemnité de sujétion et, surtout, le recrutement de 50 000 contractuels « emplois de vie scolaire », chargés d’apporter une aide administrative aux directeurs. Il s’agit là d’un effort important, mais dont l’efficacité est fortement contestée par le SNUIPP-FSU, syndicat majoritaire chez les enseignants du premier degré, qui a refusé de signer le protocole : le support juridique de ces emplois est en effet un contrat de droit privé d’une durée de 10 mois, le « contrat d’avenir », qui vise spécifiquement une population de demandeurs d’emploi peu qualifiés, dans le cadre d’un plan gouvernemental de traitement social du chômage.
La grève administrative n’a donc pas totalement cessé et le ministre s’est trouvé contraint d’ouvrir en octobre 2006 de nouvelles négociations avec les syndicats. Trois groupes de travail ont été créés, dont l’objet montre les difficultés qui restent à traiter :
- les fonctions de directeur (conditions de travail, relations avec les enseignants, formation) ;
- l’éventuelle création d’un statut (création d’un corps de direction et régime indemnitaire) ;
- le fonctionnement des écoles et leur mise en réseau éventuelle.
Car la création d’un corps de directeur, outre à la culture égalitariste du monde enseignant, se heurte à deux difficultés majeures. D’une part elle renvoie à l’extrême diversité de la fonction et de la charge de travail, entre l’instituteur de l’école à classe unique et le directeur d’une école de plus de 20 classes ; de l’autre elle n’est pas sans rapport avec l’éventuelle création d’un statut d’établissement public pour les écoles primaires, rendue possible par la loi du 23 avril 2005, mais qui attend toujours un décret d’application, et qui se heurte au même type de difficulté, augmentée sans doute des réserves d’une partie des maires."
On aurait pu croire qu'une telle démarche de la part de l'OCDE aurait mis la puce à l'oreille de nos gouvernants. Si on lit en entier le rapport final de l'OCDE, on se rend compte à quel point le malaise de la direction d'établissement en général et de la direction d'école en particulier est patent dans quasiment tous les pays de l'OCDE, et particulièrement en France. La France, "mère des arts, des armes et des lois", pays de Diderot, de Rousseau, de d'Alembert, nation parmi les nations à avoir inventé les Lumières, eut pu être parmi les premières à réagir et à pleinement se saisir de cette question, au moins par orgueil. D'autant qu'est aujourd'hui unanimement partagée la connaissance de l'importance cruciale du chef d'établissement ou du directeur dans la réussite scolaire des élèves de son école ou son établissement.
Que s'est-il donc passé depuis? Loin de s'améliorer, la situation française a largement empiré. Si on se contente de reprendre les tenants du rapport de M. Obin, qui n'est pourtant pas exhaustif, on constate que le "malaise" s'est largement répandu au point de toucher aujourd'hui la totalité des chefs d'établissement et directeurs d'école; l'accumulation des tâches s'est aggravée de façon démentielle depuis cinq ans, exacerbée par l'usage croissant d'internet et du courrier électronique par les services administratifs; l' "environnement social" décrit par M. Obin s'est encore dégradé avec la croissance du chômage et la paupérisation de la population; le stress et le sentiment d'être dépassé touche aujourd'hui tous les dirigeants, des établissements à la direction d'école.
Si aujourd'hui
le GDID demandait à l'IFOP
le même sondage qu'il y a six ans, les chiffres seraient certainement encore plus probants, en particulier par exemple sur le sentiment qu'ont les directeurs d'école d'être ou non représentés par les syndicats d'enseignants.
Le protocole signé par le SE-Unsa a vécu, et il est bien mort:
- l'amélioration du régime des décharges des directeurs d'école ne s'est jamais poursuivie;
- leur rémunération n'a que très peu bougé et reste aussi ridicule qu'elle l'était, elle s'est même dégradée en même temps que la rémunération de base des enseignants qui en deux décennies ont perdu une part stupéfiante de leur pouvoir d'achat, et dont le "point d'indice" qui en détermine l'évolution annuelle est gelé par l’État depuis plusieurs années;
- quant aux contractuels EVS, dont le statut, le salaire, l'absence de formation et de perspective, et la précarité étaient une honte pour l’État et pour le syndicat qui avait signé le protocole d'accord, ils ont quasiment disparu après avoir demandé beaucoup d'efforts de formation interne de la part des directeurs d'école qui pourtant n'avaient pas que ça à faire, et avoir dans 60% des cas montré leur inefficacité.
Le groupe de travail créé par le ministre de l'époque a sombré corps et biens dans l'oubli, pour terminer dissout dans l'indifférence générale. Et la question de la direction d'école est depuis en suspens... au point d'être oubliée! Pourtant divers rapports ces dernières années ont pointé l'importance de la direction d'école dans l'application -ou la non-application- des réformes. Ce qui n'a dû vraiment frapper notre nouveau gouvernement puisque la question de la gouvernance du primaire, lors de la consultation voulue par M. Peillon, a failli être traitée sans le GDID. Il aura fallu toute la force de persuasion de son équipe dirigeante pour être finalement conviée aux discussions. Ce qui n'aura pas été inutile puisque le ministère a en fin de compte décidé d'ouvrir en janvier 2013 des discussions sérieuses quant à la direction d'école. Nous aurons été soutenus dans cette démarche par plusieurs syndicats dont il faut ici saluer pour certains l'engagement, et pour d'autres la timide mais réelle évolution dans leur façon de considérer la question des directeurs d'école hors idéologie.
Il ne faut pas se faire d'illusion. En dépit des rodomontades syndicales, il est clair que ce résultat est le fruit de la dizaine d'années d'engagement du GDID dans la revendication d'un statut particulier pour les directeurs d'école. Je salue ici l'engagement de ses dirigeants qui depuis tout ce temps ont beaucoup sacrifié sans contrepartie de leur temps et de leur énergie pour notre cause commune , soit la reconnaissance de notre travail et de l'importance de notre mission pour la réussite scolaire des élèves de nos écoles.
Faut-il pour autant baisser les bras? Certainement pas. La lutte -pour utiliser un terme syndical- est loin d'être terminée. Mais c'est aujourd'hui à chacun d'entre nous de montrer notre engagement. C'est auprès des élus de nos communes que nous devons faire état de nos revendications, auprès de notre député, auprès des familles de nos élèves. Il nous faut, chacun d'entre nous, faire état de notre volonté sans faille auprès des quotidiens régionaux ou nationaux. Il nous faut utiliser nos réseaux personnels, comme nous devons convaincre nos adjoints ou nos représentants syndicaux, qu'ils soient ou non déjà presque convaincus, de l'importance de nous reconnaître non plus comme les premiers parmi nos pairs -primus inter pares-, mais comme des professionnels investis qui avons une mission toute particulière et primordiale pour l'avenir de notre école et de nos élèves.
Rejoignez le GDID. Plus nous serons nombreux mieux cela sera pour faire poids auprès du ministère et des syndicats qui nous accompagnerons dans ces discussions. Payez votre cotisation, pour vous elle ne sera pas grand chose, mais le GDID en aura besoin car les discussions du premier trimestre 2013 impliqueront de nombreux frais.
Et soyez convaincus que le GDID ne lâchera rien. Même s'il faut être pragmatique et comprendre les handicaps budgétaires du gouvernement récemment élu, la France ne peut plus se permettre de ne pas reconnaître ses directeurs d'école.