Parmi les choses qui me chagrinent dans le rapport remis vendredi au Ministre de l’Éducation nationale par les membres du comité de pilotage de la "Concertation pour la refondation de l'école", il y a le fait que la pédagogie de l'enseignement n'y est abordée que par le biais de la difficulté scolaire, ou du handicap.
En effet, rien n'y est dit ou presque de la nécessaire évolution pour les enseignants de leur conception de l'enseignement. Je suis un "vieux" dans ce métier, et mon expérience me montre que beaucoup de professeurs des écoles ont une vision magistrale de leur métier, qui consiste à faire une démonstration au tableau ou pire une explication orale, puis à immédiatement donner un ou des exercices écrits qui sanctionnent l'élève sans attendre. J'ai vu ce fonctionnement avec de jeunes enseignants dès l'école maternelle!
Il est logique que les enseignants formés dans des IUFM universitaires, ou pas formés du tout, ne sachent que reproduire ce qui leur a été donné pendant leurs propres années d'étude au collège, en lycée ou en fac, où les enseignants font des cours magistraux. Ils ne peuvent évidemment se rappeler la façon dont eux-mêmes ont été instruits à la maternelle ou en élémentaire, un être humain normalement constitué n'ayant que peu de souvenirs de ses dix premières années.
Ceux qui comme moi enseignent depuis plus de trente ans ont été formés différemment, avec pour la plupart de nombreux stages dans d'autres écoles, et ils sont souvent entrés dans ce métier par choix. C'était également une époque où la formation continuée existait et permettait de voir des instituteurs chevronnés pratiquer leur métier de façon différente. Bref, il y avait moyen de comprendre qu'un enfant avant dix ans a besoin, pour intégrer une notion ou acquérir une compétence, de manipulations, d'actions motrices, de répétition dans des situations variées. L'expérience a fait le reste.
Il est nécessaire aujourd'hui que chaque enseignant remette ses pratiques en question. Or cela n'apparait dans le rapport de la Concertation qu'à titre lacunaire, dans cette phrase:
(...) l’école élémentaire doit repenser ses programmes jugés trop lourds, faire évoluer ses pédagogies, prévenir les difficultés et les traiter en apportant à chaque élève une réponse adaptée à des besoins clairement identifiés.
Certes tout y est dit. Mais j'ai bien peur que cela passe au second plan, voire reste inaperçu, alors qu'il s'agit à mon sens du problème majeur de notre école. Nous avons vu en quelques années nos programmes enfler de manière exponentielle, avec des missions normalement dévolues aux familles qui nous échouaient. Nos programmes doivent revenir aux fondamentaux, et surtout notre façon d'enseigner doit redevenir une pédagogie de la réussite.
De quoi s'agit-il? Tout simplement de comprendre qu'une notion ou une compétence abordée en classe ne doit être lâchée avant que TOUS les élèves l'aient comprise ou acquise. Cela nécessite de prendre son temps, cela nécessite d'y passer un nombre d’heures qui peut-être plus important que prévu, cela nécessite de ne pas zapper pour passer à un autre point du programme tant que TOUS les enfants n'auront pas intégré ce qui a été abordé. Cela signifie qu'un exercice écrit, oral, manipulatoire, ne peut en aucun cas servir de sanction pour une quelconque évaluation ou un contrôle, il reste un exercice nécessaire peut-être pour que l'enseignant puisse vérifier une acquisition, mais il est surtout un moyen supplémentaire d'aide à la compréhension et à l'acquisition.
Si l'enseignant fait abstraction de la totale compréhension par tous ses élèves de ce qui a été enseigné, alors il est évident que commence le "décrochage" d'un élève, qui n'aura pas toutes les armes qui lui sont nécessaires pour la suite des apprentissages. Il est donc indispensable que tous les enfants réussissent ce qui leur est demandé à mesure que cela leur est demandé, d'où le nom de "pédagogie de la réussite".
Certes, nous savons que les enfants sont inégaux devant les apprentissages, pour diverses raisons qu'il ne m'appartient pas d'évoquer ici (pauvreté culturelle du milieu familial, etc), mais trente années d'enseignement me permettent de refuser l'idée qu'à part cas extrême tous les enfants n'ont pas les capacités nécessaires aux acquisitions scolaires. Certains enfants auront besoin de plus de temps, de plus d'aide de la part de l'enseignant, c'est pourquoi je salue cette préconisation du rapport:
Affecter plus de maîtres que de classes pour permettre aux équipes pédagogiques de travailler autrement et mieux, en développant le travail en commun, en apportant, dans la classe, un accompagnement personnalisé aux élèves qui en ont besoin et en facilitant l’engagement des familles dans le projet de réussite scolaire de leurs enfants. Cette mesure doit concerner en priorité les territoires en difficulté, bénéficier d’abord aux premiers niveaux d’enseignement – CP-CE1 – et être généralisée progressivement.
Je l'ai déjà écrit dans mon billet précédent, mais c'est ce que fait la fameuse Finlande depuis des années, qui a mis dans les classes des adjoints d'enseignement qui accompagnent les élèves les moins assurés au sein de la classe et pendant les heures de cours. Les élèves en difficulté ne sont pas séparés de leurs camarades comme peuvent le faire en France les réseaux d'aide -j'ai toujours considéré ceci comme une erreur très grave-, mais reçoivent simplement pour le coup une "aide personnalisée" qui là justifie son nom.
Malheureusement, il semble que la concertation ait entériné l'idée qu'une "aide personnalisée" puisse rester complémentaire et soit ajoutée aux heures normales de présence d'un élève à l'école, au lieu d'être systématiquement intégrée au temps d'enseignement normal. J'en prends pour preuve cette préconisation du rapport:
Intégrer l’aide personnalisée dans le temps scolaire et organiser l’accompagnement du travail personnel à l’école même, dans le cadre d’une réforme des rythmes. Ceci signifie la suppression effective des devoirs à la maison.
Je peux me tromper, mais cette phrase signifie pour moi qu'un temps de travail personnel serait exigé de tous les élèves en fin de journée, et les enfants les plus en difficulté seraient alors encadrés par leurs enseignants pour y être aidés. Cela existe déjà, c'est "l'étude". Je n'ai rien contre le réinvestissement à titre personnel de ce qui a été appris dans la journée, au contraire, mais... pourquoi attendre ce temps-là pour aider un élève en difficulté? J'écris cela car les deux dernières citations que j'ai faites ne se trouvent pas au même endroit dans le rapport de la Concertation. Si cela avait été le cas, la recommandation aurait été claire, mais ce n'est pas le cas. Et puis... tant que ces satanés programmes n'auront été mis au régime sec, ni les adjoints d'enseignement effectivement mis en place, ni la pédagogie de la réussite mise en avant, je persiste à penser qu'il n'y aura que de vieux professeurs des écoles, anciens instituteurs, pour la pratiquer. Comme je le fais. Lorsque j'explique à mes parents d'élèves en début d'année qu'ils ne trouveront dans les travaux écrits de leurs enfants aucun ratage, ils sont généralement étonnés tellement on les a habitués à un enseignement qui ne sait que sanctionner. Mais ils comprennent vite, apprécient, et je peux vous assurer, chers collègues, que c'est aussi personnellement une grande satisfaction professionnelle de savoir qu'aucun élève n'est a priori -je ne suis pas parfait- passé au travers.
Malheureusement, notre hiérarchie n'est pas toujours apte à saisir toutes les subtilités d'une telle démarche pédagogique. Nos inspecteurs aussi ne savent généralement que sanctionner, au vu d'ailleurs souvent d'un cahier-journal qui, de même que les devoirs écrits sont interdits depuis cinquante ans, est pourtant considéré comme inutile depuis la fin du XIXème siècle. Ah, ce fameux cahier-journal, refuge des IEN incompétents qui ne savent pas jauger autrement la maîtrise de son enseignement par un professeur des écoles... Mais c'est un autre débat.
Alors, comment peut-on aujourd'hui en France institutionnaliser la pédagogie de la réussite? Une piste est donnée dans le rapport du comité de pilotage de la "Concertation pour la refondation de l'école":
Faire toute leur place à des praticiens en activité (professeurs du primaire et du secondaire mais aussi inspecteurs, chefs d’établissement, associations…) aux côtés des universitaires dans les équipes de formateurs des ESPE.
Donner dans la formation des futurs enseignants une place aux gens comme moi, à des praticiens chevronnés, serait déjà une bonne chose. Mais faire confiance aux gens de terrain n'est pas dans les habitudes du ministère, je suis donc dubitatif quant aux choix qui seront éventuellement faits. Je le suis aussi quant à la présence des IEN, dont les conférences pédagogiques montrent surtout un éloignement des réalités de l'enseignement qui s'avère souvent confondant. En revanche, les directeurs d'école ne sont pas cités, à moins qu'ils ne tiennent dans les trois petits points entre parenthèses. Pourtant, le rôle de la direction d'école devrait devenir important si la préconisation du rapport était effective:
Définir enfin un véritable statut des directeurs d’école et leur donner les moyens pour qu’ils puissent accomplir l’ensemble de leurs missions et devenir les interlocuteurs reconnus de leurs partenaires.
Car enfin, cette petite phrase lapidaire, si elle est fort satisfaisante pour quelqu'un qui comme moi se bat depuis des années pour la reconnaissance effective du métier particulier du directeur d'école, laisse tout de même totalement de côté la forte dimension pédagogique du rôle de la direction d'école dans le fonctionnement de l'école. Car qui depuis quinze ans élabore, formalise et met en place les projets d'école, sinon le directeur? Qui est reconnu par de nombreux enseignants comme pouvant apporter une aide précieuse en terme de pédagogie de classe, sinon le directeur? Un directeur ne fait pas qu'animer une équipe, il l'entraîne souvent sur des pistes inexplorées, et tente souvent avec succès d'apporter à ses adjoints un regard pédagogique différencié et distancié.
Il est donc nécessaire de rappeler l'importance de la dimension pédagogique des directeurs d'école, et ne pas les transformer en simple courroie de transmission administrative ou seulement en interlocuteur privilégié des institutions et des familles. Le rôle que peut jouer un directeur d'école chevronné dans la généralisation de la pédagogie de la réussite ne doit pas être négligé, ce serait rater une opportunité historique alors qu'il ne reste plus beaucoup d'anciens instituteurs qui ont pu la pratiquer ou la pratiquent encore. La nouvelle définition qui devrait être donnée à la mission de la direction d'école dans le cadre d'un statut nécessaire ne devra faire aucune impasse.